(Washington) La ministre canadienne du Commerce international, Mary Ng, s’est entretenue avec l’ambassadeur des États-Unis à Ottawa, qui a accusé le Canada cette semaine de « faire tout un plat » avec les crédits d’impôt offerts aux acheteurs américains de véhicules électriques.

David Cohen avait fait ces commentaires mercredi lors d’un discours au « Canada Institute » du Wilson Centre de Washington, qui visait à dissiper les inquiétudes au Canada selon lesquelles les politiques de l’administration de Joe Biden étaient enracinées dans un terreau protectionniste.

Shanti Cosentino, porte-parole de la ministre canadienne du Commerce international, a déclaré que Mme Ng avait discuté avec M. Cohen de ses commentaires, sans toutefois donner plus de détails.

Elle a simplement indiqué que la ministre avait réitéré l’engagement du Canada à travailler avec les États-Unis pour renforcer la compétitivité nord-américaine.

PHOTO DAVID KAWAI, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’ambassadeur des États-Unis à Ottawa, David Cohen

Les commentaires de M. Cohen ont été prononcés après son discours lors d’une séance de questions-réponses avec le directeur du « Canada Institute », Chris Sands.

Il repoussait la perception au Canada selon laquelle les initiatives dans la législation américaine comme celles sur les infrastructures et la réduction de l’inflation de l’administration Biden sont trop axées sur les fournisseurs américains.

M. Cohen est arrivé à Ottawa en décembre 2021, au plus fort des critiques au Canada concernant le projet du président Biden d’offrir des crédits d’impôt pour l’achat de véhicules électriques. Cet incitatif fiscal était à l’époque destiné aux seuls acheteurs de véhicules construits aux États-Unis par des travailleurs syndiqués.

Les intervenants de l’industrie et le gouvernement fédéral à Ottawa ont qualifié cette politique de « menace existentielle » pour un secteur canadien de l’automobile qui travaille main dans la main avec son homologue américain depuis plus d’un demi-siècle.

« Le Canada, en utilisant un terme technique, a fait tout un plat », a affirmé M. Cohen, ajoutant qu’il recommandait un argument plus nuancé et « moins jazzy » qui a fini par l’emporter et qui a permis d’intégrer les véhicules canadiens au plan.

« Tous ces éléments ne sont que des preuves qu’il n’y a aucune intention ici de nuire au Canada, a soutenu M. Cohen. L’intention ici est de bâtir une économie nord-américaine résiliente, puissante et prospère. »

Tel était, en résumé, l’objectif déclaré de l’intervention de M. Cohen, et il n’est pas le seul à l’avoir fait ces derniers temps.

Un « nouveau consensus »

Dans un discours prononcé la semaine dernière à la Brookings Institution, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Jake Sullivan, a présenté une vision de la politique étrangère et économique visant clairement à dissiper les inquiétudes des alliés d’un peu partout dans le monde.

Il a cité une longue liste d’évènements qui ont bouleversé le monde au cours des dernières années, qu’il s’agisse de l’évolution de l’économie mondiale, qui a abandonné les travailleurs de la classe moyenne, de la crise financière, qui a réduit à néant tout sentiment de sécurité économique, du changement climatique, de la pandémie de COVID-19 ou de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui dure depuis un an.

« Ce moment exige que nous forgions un nouveau consensus », a déclaré M. Sullivan, un consensus basé sur des chaînes d’approvisionnement diversifiées et résilientes, des normes de travail et environnementales solides et des services publics soutenus par le capital.

« L’idée qu’un “ nouveau consensus de Washington ”, comme certains l’ont appelé, est en quelque sorte l’Amérique seule, ou l’Amérique et l’Occident à l’exclusion des autres, est tout simplement fausse », a fait valoir M. Sullivan.

« Cette stratégie construira un ordre économique mondial plus juste et plus durable, dans notre intérêt et pour celui des gens du monde entier. »

Il a reconnu que l’ampleur même des dépenses dans la loi sur la réduction de l’inflation, qui contient les mesures révisées du crédit d’impôt nord-américain pour les véhicules électriques, a été une « source de friction » avec d’autres pays, en particulier en Europe.

Il a mentionné la visite de Joe Biden au Canada, qui a donné naissance à un nouveau groupe de travail sur les minéraux critiques, ainsi que les discussions avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sur le renforcement des capacités industrielles pour la transition énergétique en cours.

« Nous tirons parti de la loi sur la réduction de l’inflation pour construire un écosystème de fabrication d’énergie propre enraciné dans les chaînes d’approvisionnement ici en Amérique du Nord et s’étendant à l’Europe, au Japon et ailleurs », a déclaré M. Sullivan.

Les tensions croissantes avec la Chine

Selon Emily Benson, experte en commerce transatlantique et en technologie au Centre d’études stratégiques et internationales de Washington, la raison pour laquelle ce discours n’est énoncé que maintenant se résume à deux choses : la politique électorale et les relations entre les États-Unis et la Chine.

Sur le plan intérieur, Joe Biden a confirmé son intention de se représenter aux élections, et les vents politiques dominants suggèrent actuellement qu’il pourrait être confronté à l’approche « America First » de son ancien rival, Donald Trump.

Le fil conducteur le plus complexe concerne les tensions croissantes avec la Chine.

L’inquiétude s’est transformée en alarme en février après que les États-Unis ont abattu un ballon-espion chinois qui avait dérivé dans l’espace aérien canadien et américain. Le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, n’a pas pu joindre son homologue chinois au téléphone.

Et pas plus tard que cette semaine, des responsables à Manille ont signalé le mois dernier un comportement chinois agressif dans la mer de Chine méridionale, notamment par un navire de guerre chinois qui a failli entrer en collision avec une patrouille des garde-côtes philippins.

« Cela résume l’évolution des relations, et les Chinois ne sont pas vraiment disposés à mettre en place une ligne téléphonique d’urgence avec les Américains », a déclaré Mme Benson.

Elle a relevé un autre discours politique de premier plan prononcé le mois dernier, celui de la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, qui a adopté un ton nuancé.

« Le président et moi pensons que la Chine et les États-Unis peuvent gérer nos relations économiques de manière responsable », a déclaré Mme Yellen dans un discours à la Johns Hopkins School of Advanced International Studies.

« Nous pouvons travailler vers un avenir dans lequel les deux pays partagent et stimulent le progrès économique mondial. La réalisation de cette vision dépend en grande partie de ce que les deux pays feront au cours des prochaines années », a-t-elle ajouté.

Les discours de M. Sullivan et de Mme Yellen « visaient à dire : “ Nous essayons de faire baisser la température, nous repensons les choses, nous avons une nouvelle vision de l’ordre mondial ” », analyse Mme Benson.

« Si vous regardez vers l’intérieur, cela s’adresse à l’électorat pour le cycle à venir. Et si l’on regarde vers l’extérieur, c’est vraiment orienté vers la recherche d’une rencontre avec les Chinois. »