Le Poseidon P-8A de Boeing qu’envisage d’acheter le Canada a connu des ratés ces dernières années en demeurant trop longtemps à l’atelier, révèle un rapport du gouvernement américain. Ses conclusions incitent l’opposition aux Communes à exiger un appel d’offres en bonne et due forme, comme le demande déjà Bombardier afin de présenter une soumission.

Au moins 5 milliards sont en jeu dans le cadre de ce contrat qui pourrait être accordé de gré à gré au géant américain. Bombardier s’interroge sur cette façon de faire. L’entreprise québécoise ne réclame pas qu’on lui attribue le contrat. Elle souhaite cependant avoir une chance de promouvoir ses avions privés construits au pays et qui peuvent être convertis pour accomplir des missions de surveillance.

« Si les appareils de Boeing ne répondent pas aux critères de la US Navy en matière d’entretien, pourquoi le gouvernement du Canada sauterait-il sur ces appareils ? se demande le conservateur Pierre Paul-Hus. Il y a un problème. »

Cet ex-réserviste au sein des Forces armées canadiennes estime qu’un appel d’offres est « incontournable » puisque Bombardier serait en mesure d’y participer et que le Poseidon n’est pas un « produit unique ».

Disponibles de 53 % à 70 % du temps

Le rapport en question émane du bureau de l’inspecteur général du département de la Défense, organisme indépendant chargé de surveiller les programmes et les activités de l’armée américaine. Selon ce document de 60 pages diffusé au printemps 2021, le taux de disponibilité du Poseidon oscillait entre 53 % et 70 % d’octobre 2018 à mars 2020, alors que la marine américaine exige que ses escadrons affichent une performance d’au moins 80 %.

Un taux de disponibilité correspond au pourcentage d’appareils aptes à réaliser des missions et qui ne sont pas dans un centre d’entretien.

PHOTO JON NAZCA, ARCHIVES REUTERS

Poseidon P-8A de Boeing de la marine américaine

Selon le rapport, ce n’est pas la conception du P-8A – qui s’apparente à la famille d’avions 737 de Boeing et qui peut larguer des torpilles – qui est problématique, mais plutôt l’infrastructure qui doit assurer son bon fonctionnement.

« Le personnel de maintenance des escadrons a connu des retards dans l’identification et la réception des pièces de rechange », indique le rapport, en ajoutant que ces ratés sont survenus lorsque l’avion était sur le terrain.

De plus, on aurait tardé à corriger le tir, ce qui a contribué à prolonger les perturbations. Plusieurs sections du rapport qui concernent les constats ont été caviardées. Il n’a donc pas été possible d’avoir une idée de tous les pépins détectés.

Premier pas

Il y a environ deux semaines, le Canada, qui doit remplacer ses CP-140 Aurora mis en service en 1980, a demandé des informations à Washington en vue de l’achat d’un maximum de 16 appareils Poseidon.

Ottawa affirme que cela ne constitue pas une commande ferme, mais des observateurs consultés par La Presse pensent le contraire. Dans une déclaration, Services publics et Approvisionnement Canada a souligné que l’appareil de Boeing était « le seul actuellement offert qui réponde à toutes les exigences opérationnelles » de l’Aviation royale canadienne.

S’il se concrétise, ce scénario constituerait une « haute trahison de l’aérospatiale au Québec », affirme le député bloquiste Simon-Pierre Savard-Tremblay. Ce secteur est « stratégique », mais pour que « cela continue, il faut le reconnaître », ajoute-t-il.

« On a l’ensemble des composantes pour assembler un avion de A à Z, souligne le député. Et d’aller offrir un contrat sans appel d’offres à une entreprise américaine pour des avions qui ne répondraient pas aux critères d’entretien, c’est carrément se tirer dans le pied. Je trouve cela scandaleux. »

Le son de cloche est similaire au Nouveau Parti démocratique, où le chef adjoint de la formation politique Alexandre Boulerice a déjà exprimé son opposition à un contrat de gré à gré avec Boeing.

Défis d’intégration

À la demande de La Presse, Thomas Hughes, chercheur postdoctorant au Centre for International and Defence Policy de l’Université Queen’s, a parcouru le rapport du bureau de l’inspecteur général du département de la Défense. À son avis, le document témoigne des difficultés entourant l’intégration d’un nouvel avion.

« Ce n’est pas comme laisser son ancienne voiture chez le concessionnaire pour repartir avec une nouvelle, souligne l’expert. Le Canada devra accorder une attention particulière à toute la logistique de l’infrastructure de maintenance. »

M. Hughes souligne qu’aucun appareil n’est en mesure d’afficher un taux de disponibilité de 100 %.

S’il estime que le Poseidon ne semble pas présenter de risques au chapitre de sa conception, l’expert reconnaît qu’il risque d’y avoir des défis à relever pour s’assurer de mettre sur pied un écosystème capable de répondre aux besoins de l’avion construit par Boeing s’il est acheté par Ottawa.

L’enjeu sera similaire si Bombardier obtient le contrat. L’avionneur québécois a commencé à livrer des Global à l’armée américaine. Il n’y a pas encore eu de rapport pour documenter la fiabilité de l’avion.

De son côté, le ministère de la Défense nationale affirme avoir pris connaissance du rapport concernant le Poseidon. Dans un courriel, sa porte-parole, Jessica Lamirande, affirme que des « recherches indépendantes » ont été menées sur les stratégies déployées en Australie, au Royaume-Uni, en Norvège ainsi qu’en Nouvelle-Zélande – où le Poseidon est en service.

« Ces recherches ont permis d’établir que le P-8A peut être maintenu en puissance avec efficacité et être prêt à répondre aux diverses exigences de mission du Canada », écrit-elle, sans donner plus de détails.

Boeing a livré 158 exemplaires de son avion de surveillance assemblé aux États-Unis. L’avionneur américain compte actuellement 183 commandes. Pour continuer, la production dépendra d’un « nombre suffisant de commandes », a déjà fait savoir la multinationale.

Boeing cogne à la porte de Washington

Parallèlement à ce qui se passe au Canada, Boeing mise sur l’armée américaine pour être capable de continuer à produire des Poseidon P-8A. Le site spécialisé Politico rapporte que Boeing vient de demander à Washington de lui acheter 10 exemplaires de son appareil, au coût estimé de 1,8 milliard US, et ce, même si la marine américaine n’a pas besoin de ces avions. Selon Politico, cela permettrait à Boeing de continuer à assembler le P-8A en attendant de nouvelles commandes. Récemment, le président et chef de la direction de Bombardier, Éric Martel, affirmait que le Canada était en train de se laisser séduire par un avion « en fin de vie » en envisageant d’acheter les appareils de Boeing.

En savoir plus
  • 2030
    Année où les CP-140 Aurora des Forces armées canadiennes commenceront à être mis au rancart
    Source : gouvernement du canada
    2032
    Début attendu des livraisons des nouveaux avions de surveillance militaire
    source : gouvernement du canada