Les traditionnels cartons et sacs de lait disparaîtront-ils du dépanneur du coin ? Bien qu’ils ne souhaitent pas en arriver là, certains propriétaires pourraient décider de ne plus en vendre si leur marge de profit sur ce produit, dont le prix est réglementé, continue de fondre comme neige au soleil.

Le directeur général de l’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec, Yves Servais, a lancé cet avertissement lundi, au cours d’une séance publique – organisée par la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (RMAAQ) – portant sur des demandes d’ajustement du prix au détail du lait de consommation à partir du 1er février 2023.

« Si vous permettez aux détaillants d’avoir un maximum de rentabilité dans le lait de base, je pense qu’ils vont continuer à en vendre pour le rendre accessible aux consommateurs les moins fortunés. Mais à un moment donné, il y a des limites qu’il ne faut pas dépasser, a toutefois indiqué M. Servais, lors des audiences. Si on passe de 8 % de marge à 7 % ou à 6 % dans les prochaines années, c’est sûr que ce n’est plus intéressant. »

Récemment, la Commission canadienne du lait a recommandé une hausse du coût du lait à la ferme de 2,2 %. La RMAAQ doit maintenant fixer les prix minimum et maximum au détail. La marge des épiciers et des dépanneurs, qui n’a pas bougé depuis 2018, pourrait être touchée. Une décision sera rendue dans les prochaines semaines.

Le prix maximum du lait à valeur ajoutée n’est pas fixé par la Régie. Il peut donc être plus alléchant pour certains détaillants de vendre ces produits et de leur donner davantage d’espace sur les rayons, au détriment du lait de base que l’on retrouve dans des cartons (sans bouchon en plastique) et en sacs.

La RMAAQ a profité de l’occasion pour rappeler les détaillants à l’ordre : ils doivent respecter leur engagement de vendre tous les types de lait pour que les consommateurs aient le choix. Spécialisée dans les produits biologiques, Rachelle Béry, enseigne gérée par IGA, a directement été montrée du doigt par la Régie. On lui reproche de ne vendre que du lait à valeur ajoutée, c’est-à-dire des produits qui présentent des « caractéristiques particulières quant à leur durée, leur valeur nutritive ou leur présentation » (lait bio, sans lactose, carton de lait muni d’un bouchon de plastique…). À noter que c’est également le cas dans les supermarchés Avril, a constaté La Presse.

« Les détaillants, ce sont des gens d’affaires et ils évaluent leur profitabilité. Ils auront des décisions à prendre, a ajouté Yves Servais au bout du fil, au cours d’un entretien avec La Presse. [Cesser de vendre du lait de base], ça va être un élément à prendre en considération à un moment donné. »

La marge de 16 cents

Depuis 2018, les marchands obtiennent une marge de profit d’environ 16 cents sur chaque litre de lait vendu. Ils paient généralement leur lait au prix minimum fixé par la Régie et le revendent au prix maximum. Par exemple, actuellement, dans la région 1 – qui touche la plus grande partie du Québec –, le prix minimum au détail pour un carton contenant un litre de lait à 2 % de matière grasse est de 1,99 $ alors que son prix maximum est de 2,15 $.

« Le 16 cents n’a jamais été actualisé dans le temps, rappelle M. Servais. Le 16 cents, quand ton litre de lait coûte 2 $, ce n’est pas le même revenu que le 16 cents sur un litre de lait de 2,15 $ ou de 2,25 $. Étant donné que ce 16 cents-là n’est pas indexé toutes les années, c’est ça qui fait en sorte que notre profitabilité baisse », ajoute-t-il.

Dans le contexte, l’AMDEQ demande que ces fameux 16 cents soient indexés. De son côté, l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADA) souhaite aussi que la marge passe de 16 cents à 18 cents.

Yves Servais rappelle que ce « manque de rentabilité » a déjà eu des conséquences par le passé. « Il y a eu des détaillants, peut-être en raison d’une méconnaissance de la loi, qui vendaient leur lait un peu plus cher que le prix plafond. Ces détaillants se sont fait taper sur les doigts », a-t-il toutefois tenu à dire.

Engagement des détaillants

Par ailleurs, les propos tenus par M. Servais lors des audiences ont fait réagir France Dionne, vice-présidente de la Régie. Celle-ci a rappelé l’engagement pris par les détaillants en 2016 selon lequel ils offriraient en tout temps du lait de base.

« S’il y avait un élément qui avait été considéré […] c’était cette idée-là, que le consommateur avait le choix. S’il voulait un bouchon sur son carton et qu’il était prêt à payer plus cher alors que le carton [traditionnel] était à côté, c’était son choix », a rappelé Mme Dionne.

« On a l’impression que cette promesse-là, parce que les gens ont changé, parce que la situation a changé, n’est plus respectée », a-t-elle lancé. Mme Dionne a du même coup montré du doigt Rachelle-Béry qui ne vend que du lait à valeur ajoutée.

« L’engagement dans le cas de Rachelle-Béry, manifestement il n’est pas tenu, a-t-elle lancé. Peut-être que le message pourrait être passé aux enseignes. On a reçu l’engagement que le consommateur aurait toujours le choix », a-t-elle tenu à répéter.

Le lait de base est également absent des réfrigérateurs de la chaîne de supermarchés bios Avril, qui compte 11 magasins.

La porte-parole d’IGA, Anne-Hélène Lavoie, rappelle que Rachelle-Béry est une chaîne « spécialisée » dans les produits bios qui compte une dizaine de magasins. Elle a rappelé en contrepartie que Sobeys gérait plus de 450 supermarchés au Québec et qu’ils vendaient de tous les types de lait.

Pour sa part, la cofondatrice des supermarchés Avril, Sylvie Senay, n’a pas l’impression de « limiter » le choix de ses clients en n’offrant que du lait à valeur ajoutée. « Car justement, [la clientèle] vient chez Avril pour notre offre biologique », a-t-elle écrit dans un courriel envoyé à La Presse, alors qu’elle se trouve actuellement à l’extérieur du Québec. « Nous ne pouvons nous comparer au marché conventionnel. »

Des sanctions pourraient-elles être prises contre ces commerces ? À cela, la Régie a répondu qu’elle ne commentait pas les dossiers en cours ni les décisions rendues.

Invité à réagir, le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) a refusé de faire des commentaires puisqu’il s’agit de magasins en particulier. Son président pour le Québec, Michel Rochette, a néanmoins soutenu qu’« on ne pouvait pas forcer un détaillant à vendre du lait ».

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