La hausse récente de l’inflation a généré un débat sur les nouveaux tarifs d’Hydro-Québec indexés au coût de la vie. Leur augmentation possible à hauteur de 5 % en 2023 est venue soudainement cristalliser toutes les craintes des ménages québécois quant aux incertitudes économiques à venir. À telle enseigne que le gouvernement québécois a annoncé qu’il modifierait la loi de façon à garantir que la hausse des tarifs ne dépasse pas 3 % l’an prochain.

Ce geste, aussi compatissant et généreux soit-il, n’est cependant que symbolique. L’électricité est la seule composante de l’inflation sur laquelle le gouvernement avait la capacité réelle d’intervenir, mais, malheureusement, son impact sur l’augmentation totale du coût de la vie (par l’entremise de la catégorie du logement) sera très limité, comme le tableau suivant sur les variations de l’indice des prix à la consommation (IPC) le montre bien.

Au Québec en décembre 2021, la hausse de l’IPC a été de 5,1 % et même si on peut prévoir qu’elle ralentira dans la deuxième moitié de 2022, elle devrait rester à un niveau élevé.

Cette mesure était-elle souhaitable ou nécessaire ? On peut douter de son effet sur l’inflation, sur le revenu disponible des Québécois et sur les besoins d’investissement d’Hydro-Québec.

Des tarifs très bas qu’on ne veut pas voir augmenter

Le coût de l’électricité n’est pas un facteur d’inflation significatif au Québec. Les tarifs résidentiels québécois sont les plus bas en Amérique du Nord. Comme on peut le voir sur le tableau ci-après, ils sont inférieurs de 60 $ par mois à ceux de Toronto et plus de quatre fois moindres que ceux de Boston ou de New York. Même si on leur appliquait une augmentation de 5 %, 10 % ou 20 % en 2023, ils resteraient encore les tarifs les plus bas.

Pourquoi est-ce ainsi ? Parce que depuis une vingtaine d’années, le gouvernement du Québec a choisi de réserver pour les ménages-consommateurs l’électricité produite par les premiers barrages qui ont été construits dans les années 1960 et 1970, ce qu’on a appelé le « bloc patrimonial ». Cette énergie est rendue disponible aux Québécois à un prix très avantageux, 2,79 cents le kilowattheure, qui reflète une réalité passée et non actuelle.

Coût de la vie inférieur et revenu disponible en croissance

Mais il n’y a pas que l’électricité dont le coût est inférieur au Québec et augmente moins vite qu’ailleurs. En fait, l’indice global des prix à la consommation augmente presque toujours moins vite que celui de notre voisin ontarien. Une étude de 2018 de l’économiste Pierre Fortin a montré que sur une période de 25 ans (1992-2017), l’IPC québécois a augmenté moins rapidement que celui de l’Ontario et qu’un écart significatif existait en 2017. Ainsi, avec un salaire moindre de 15 %, un travailleur montréalais possédait un pouvoir d’achat, un niveau de vie, identique à celui d’un travailleur torontois, les deux pouvant acheter les mêmes biens (en quantité et en qualité) avec leur salaire.

Le revenu disponible (représentant le revenu à la disposition des particuliers pour la consommation des biens et services dont ils ont besoin) est une autre mesure qui permet de bien saisir la situation économique comparée de la population québécoise. Le revenu disponible s’est amélioré plus rapidement au Québec (31,9 %) qu’en Ontario (27,9 %) ou au Canada (28,6 %) au cours de la décennie 2009-2019.

C’est dire que les Québécois n’étaient pas en mauvaise posture pour faire face à la hausse des tarifs d’électricité. En fait, ils sont en meilleure position que les Ontariens et la plupart des Canadiens qui paient plus cher pour leur électricité, dont le pouvoir d’achat est moindre et dont le revenu disponible augmente moins rapidement.

Charge fiscale moindre et besoin d’investissements

Hydro-Québec ne fait pas que garder les tarifs d’électricité des ménages québécois à de très bas niveaux ; elle contribue aussi directement à diminuer leur charge fiscale. Ainsi, cette société publique verse au gouvernement un dividende annuel équivalant à 75 % de son bénéfice net. Au cours des 10 dernières années, c’est une moyenne annuelle de 2083 millions de dollars que le gouvernement a ajoutée à ses revenus, somme qui, si elle n’avait pas été disponible, aurait entraîné une augmentation de la charge fiscale des Québécois. À cela, il faut ajouter les redevances qu’Hydro-Québec verse chaque année au Fonds des générations pour diminuer la dette publique. Elles ont représenté 757 millions de dollars en 2020-2021.

Jusqu’à maintenant, le bloc d’électricité patrimonial a permis de répondre aux besoins du Québec et a en plus généré des surplus qui ont servi à l’exportation, mais ils seront complètement épuisés en 2026, d’après les prévisions d’Hydro-Québec. Ses revenus lui ont également permis de soutenir le budget du gouvernement. Que fera-t-on lorsque les surplus n’existeront plus et que le bénéfice aura diminué ? Diminuer les exportations et les revenus d’Hydro-Québec pour maintenir les tarifs résidentiels des Québécois artificiellement bas ? Ou augmenter les tarifs pour maintenir le rendement financier d’Hydro-Québec et lui permettre de faire face à la transition énergétique dans laquelle le Québec est engagé et qui va exiger des investissements importants ?

Un vieux débat et un blocage irresponsable

La politique tarifaire actuelle d’Hydro-Québec profite aux Québécois, mais elle profite davantage aux personnes à hauts revenus qui auraient les moyens de faire face à des tarifs plus élevés comparativement aux personnes moins aisées qu’on pourrait soutenir autrement. Elle pourrait être plus productive et plus efficace. Tel est en gros le message transmis en 2005 par le groupe dit des Lucides, message non accepté à l’époque et qui semble encore aujourd’hui se heurter au même refus. Pourtant, ils avaient raison.

L’augmentation des tarifs d’électricité prévue par la loi controversée n’est pas hors de proportion compte tenu de la situation réelle des ménages québécois. Elle pourrait permettre de réaliser les investissements requis pour qu’Hydro-Québec relève les défis qui la confrontent tout en maintenant la santé financière dont elle a besoin, et le gouvernement aussi.