Dans la course à l’électrification, la chasse pour attirer des manufacturiers de renom au Québec est presque finie. Il faut aussi être réaliste, selon le gouvernement Legault : on n’assemblera pas de voitures électriques sur le sol québécois. La place de la province se trouve plutôt dans les matériaux de batteries et les véhicules commerciaux – comme les autobus et camions.

« Des voitures, on n’en fera pas », affirme sans détour le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, en rencontre éditoriale avec La Presse, rappelant que le Québec était absent de la filière automobile depuis la fermeture de General Motors (GM) à Boisbriand, en 2002. « Il faut accepter, se concentrer où on peut gagner. »

Après plus de deux ans de démarchage, les ambitions du gouvernement Legault pour la filière batteries prennent donc forme. Mais oubliez l’usine d’assemblage de Tesla ou d’un autre géant de l’automobile. Au Québec, les constructeurs seront Lion (autobus scolaires et camions), Nova Bus (autobus urbains) et Taiga (motoneiges et motomarines), notamment.

Les prochaines annonces de la filière batteries devraient ressembler à ce qui s’est fait en mars dernier. En quelques jours, le géant chimique BASF et la coentreprise formée par Posco et GM avaient opté pour le Québec afin d’y assembler des matériaux de cathodes, le pôle positif de la batterie lithium-ion – qui représente environ 40 % du coût d’une batterie.

Accompagné de Guy LeBlanc, président-directeur général d’Investissement Québec (IQ), et d’Hubert Bolduc, à la tête du pôle international du bras financier de l’État, M. Fitzgibbon a fait le point avec l’équipe éditoriale de La Presse sur la filière batteries, où le Québec espère se placer dans le peloton de tête dans la fabrication et l’assemblage de batteries pour véhicules électriques.

Dans la chasse, c’est presque terminé. Il reste quelques joueurs avec qui nous sommes en discussion. Guy [LeBlanc] part vers le Japon vendredi pour voir quelques clients là-bas où les discussions sont assez avancées.

Hubert Bolduc

Par courriel, M. Bolduc a par la suite ajouté que la « chasse » était encore « ouverte pour compléter l’écosystème à l’extérieur des projets de cathodes ». Québec voit grand en matière de recyclage de batteries.

Mais dans l’immédiat, si l’on croyait que le dévoilement des projets de BASF et Posco en mars dernier ouvrirait la voie à une cascade d’annonces au cours des mois à venir, il faudra revoir les attentes.

Un géant brésilien en chemin

Tout indique que Vale est l’un des grands acteurs qui devraient emboîter le pas à BASF et Posco. La Presse avait déjà fait état de l’intérêt du géant brésilien à l’endroit de la province. Celui-ci voudrait implanter une usine de sulfate de nickel au Québec. La taille du projet est inconnue. Toutefois, en Australie, BHP a achevé un complexe qui produit annuellement 100 000 tonnes, une quantité pouvant alimenter 700 000 véhicules électriques. L’investissement est supérieur à 100 millions US.

C’est dans le parc industriel et portuaire de Bécancour – qui appartient à Québec – que le gouvernement Legault veut implanter le cœur de la filière électrique.

Québec veut des projets à toutes les étapes, soit de l’extraction de ressources comme le graphite et le spodumène de lithium (des projets miniers), la transformation de matière en composantes de qualité batterie, la fabrication d’anodes (pôle négatif de la batterie) et de cathodes (pôle positif), l’assemblage de cellules des batteries et la fabrication des modules.

Des projets ont été démarrés dans presque toutes les phases. Québec tente maintenant d’attirer un cellulier, le chaînon manquant, et doit maintenant s’assurer que tout soit en place pour que le minerai extrait du sous-sol québécois soit transformé dans la province.

« C’est l’exécution, répond M. Fitzgibbon, interrogé sur les prochains chantiers de la filière batteries. On l’a annoncé, mais on ne produit pas une once d’hydroxyde de lithium. Il faut exécuter cela. »

L’étape clé de la filière intégrée est la construction d’une usine de transformation du lithium à Bécancour. Celle-ci fera le lien entre l’extraction minière et les fabricants de cathodes comme BASF et Posco.

Sans l’usine de Nemaska Lithium à Bécancour, le lithium qui serait extrait du sous-sol québécois serait exporté pour être transformé ailleurs, tandis que les usines de cathodes devraient opter pour les États-Unis afin de s’approvisionner en lithium à valeur ajoutée. Il est prévu que les usines de BASF et Posco/GM s’approvisionnent ailleurs au début de leur production, en 2024-2025.

« Tout le monde veut voir l’usine [de transformation du lithium] opérationnelle en 2024 », affirme M. Fitzgibbon.

Québec détient la moitié de Nemaska Lithium. Selon M. LeBlanc, les décisions entourant la construction du site seront prises à l’automne.

En quête d’un cellulier

Quant aux fabricants de cellules – la dernière étape avant l’assemblage de la batterie –, deux entreprises en démarrage ont jusqu’à présent mis leurs cartes sur la table. Britishvolt, dont l’antenne canadienne est dirigée par l’ex-premier ministre québécois Philippe Couillard, privilégie déjà Bécancour pour son projet. StromVolt, établie en Ontario, considère aussi le Centre-du-Québec pour l’usine qu’elle souhaite construire.

« De façon réaliste, le Québec peut toujours viser les usines de cellules », croit l’analyste Mark Beveridge, de la firme londonienne Benchmark Mineral Intelligence.

Il ne faut pas s’attendre à un projet d’une taille comparable de celui de 5 milliards annoncé en Ontario mercredi dernier, où Stellantis et LG Energy Solution vont construire une usine de cellules et de batteries. Au Québec, un projet s’adresserait vraisemblablement à des véhicules commerciaux.

Les constructeurs automobiles veulent voir les celluliers s’installer à proximité de leurs usines d’assemblage, affirme M. Fitzgibbon, ce qui désavantage le Québec. Les attentes doivent donc être différentes, à son avis.

« Je serais bien content d’en faire une usine de cellules, une petite, pour commencer, dit le ministre. La course va durer 25 ans. Ça ne s’arrêtera pas demain matin. Concentrons-nous sur les cathodes et les anodes. En avoir un [cellulier] à 5 milliards, ça n’arrivera pas. »

Regard de l’étranger

PHOTO RONNY HARTMANN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les opinions sont nombreuses à l’égard des ambitions du gouvernement Legault pour la filière batteries.

Les opinions sont nombreuses à l’égard des ambitions du gouvernement Legault pour la filière batteries. Mais comment est perçue cette stratégie à l’extérieur des frontières canadiennes ? La Presse a discuté avec trois experts. Tour d’horizon des constats.

Un créneau prometteur

Bentley Allan, professeur adjoint de science politique et affilié à l’Institut pour l’environnement, l’énergie, la durabilité et la santé à l’Université Johns Hopkins, à Baltimore, croit que la stratégie québécoise des batteries tient la route. Il croit que le Québec se positionne dans un créneau porteur.

« Pour moi, c’est vraiment un témoignage du travail qui a été fait. Ils [au gouvernement] ont vraiment compris, il y a quelques années, que la construction des cathodes, dont le nom n’est pas connu de tous, représente 40 % du coût de la batterie et que la batterie représente 40 % du prix du véhicule. Comme pièce unique de la chaîne d’approvisionnement, c’est la plus précieuse. Cette partie chimique de la chaîne d’approvisionnement a une tonne de valeur. Les annonces de BASF et Posco/GM témoignent du succès de la stratégie du Québec en matière de minéraux critiques et de ses visées à construire une chaîne complète [de la mine à la batterie]. »

En avance… comme fournisseur

Steve LeVine, de la publication The Electric, qui se spécialise dans les batteries de nouvelles générations et les véhicules électriques et est considérée comme une référence dans l’industrie nord-américaine, n’avait pas beaucoup entendu parler du Québec. La province est apparue sur son écran radar dans la foulée des annonces de BASF et Posco/GM.

PHOTO TIRÉE DE LINKEDIN

Steve LeVine, de la publication The Electric, qui se spécialise dans les batteries de nouvelles générations et les véhicules électriques

« Il n’y a pas eu d’annonce équivalente aux États-Unis, explique l’observateur. Nous avons des usines de cellules. Panasonic fabrique des cellules pour Tesla. Il y a d’autres usines. Je dirais que c’est important [au Québec]. On se positionne comme une option de rechange à la Chine. C’est de cela que l’on parle. »

Bien choisir ses celluliers

Deux entreprises – Britishvolt et StromVolt – font miroiter des usines de cellules au Québec, le chaînon où le gouvernement Legault veut attirer de nouveaux acteurs. Il faut bien choisir les partenaires que l’on épaule financièrement, affirme Mark Beveridge, de la firme londonienne Benchmark Mineral Intelligence. Tous les projets ne sont pas gages de succès, surtout lorsque l’on parle d’entreprises en démarrage.

« Ces entreprises doivent trouver le financement pour construire ces usines et surmonter les difficultés techniques liées à la protection de cellules, dit-il. Ils vont devoir concurrencer des entreprises, qui ont, dans certains cas, une longue expérience dans la production de cellules lithium-ion qui répondent aux exigences de l’industrie. »

Penser aux « champions locaux »

C’est une chose d’attirer des acteurs de la filière batteries au Québec, mais il faut aussi s’assurer qu’à terme, les connaissances acquises permettent la création de nouveaux « champions locaux », estime M. Allan. Il suggère au gouvernement Legault d’y penser immédiatement.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ JOHNS HOPKINS

Bentley Allan, professeur adjoint à l’Université Johns Hopkins

« Par exemple, peut-être que quelqu’un au Québec sera engagé comme président de Posco Canada ou comme dirigeant local. À terme, il faudra s’assurer que cette personne prenne les rênes d’une entreprise en démarrage. Aux États-Unis, tout le monde veut travailler pour Tesla. Plusieurs ont quitté l’entreprise pour lancer leur propre compagnie après quelques années. C’est ce que vous voulez voir pour l’écosystème. »

Oui à l’aide publique, avec des limites

Il est difficile de créer une nouvelle filière sans soutien gouvernemental. M. Beveridge n’a rien contre le soutien financier accordé pour des projets comme ceux de BASF et Posco/GM. Dans une stratégie où l’on veut être présent de la mine à la batterie, l’expert de Benchmark Mineral Intelligence croit qu’il faut être plus prudent avant d’épauler des projets miniers.

« Je crois que c’est plutôt délicat pour le gouvernement dans ce secteur. L’exploitation minière est volatile. Il y a beaucoup de projets qui ont semblé, à un moment ou un autre, sûrs et qui se sont avérés de très mauvais investissements. C’est là que je suis moins à l’aise. De voir le Québec investir dans des projets miniers. »

Jusqu’à 4000 emplois à Bécancour

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Au-delà des milliards d’investissements, l’avènement d’un campus des composants de la batterie lithium-ion se traduirait à terme par la création de 4000 emplois à Bécancour, prévoit Québec.

Au-delà des milliards d’investissements, l’avènement d’un campus des composants de la batterie lithium-ion se traduirait à terme par la création de 4000 emplois à Bécancour, prévoit Québec. Une masse considérable d’emplois à pourvoir, considérant un bassin estimé à 100 000 travailleurs.

Le gouvernement travaille déjà de concert avec le monde de l’enseignement supérieur afin de répondre aux besoins de formation de la main-d’œuvre.

« J’ai parlé au recteur de l’UQTR [Christian] Blanchette, il va falloir former du monde. Un chantier de 6-7 milliards, c’est beau, mais 2000, 3000, 4000 personnes vont travailler là à un moment donné, il faut qu’elles viennent de quelque part », dit le ministre Pierre Fitzgibbon.

Malgré la pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans la province, Québec croit pouvoir relever le défi.

Le bassin actuel est de 18 000 étudiants qui suivent des études au cégep et à l’université dans des domaines pertinents aux besoins de main-d’œuvre de la filière batteries.

Guy LeBLanc, PDG d’Investissement Québec

« Le succès amène le succès, renchérit le ministre Fitzgibbon. Le recteur réalise très bien qu’il doit former 2000 personnes et il est content parce que ça va bouger. Toutes les forces vives des institutions de savoir travaillent ensemble, avec nous. »

École des métiers de la batterie

Hubert Bolduc, président d’Investissement Québec international, évoque de son côté l’idée d’une École des métiers de la batterie à Trois-Rivières au moment où l’École de papeterie, quasi centenaire, a dû récemment fermer ses portes, faute d’élèves.

« La nouvelle filière de la batterie va prendre la place des anciennes papetières en termes de nombre d’emplois, de salaires, de retombées économiques, de sous-traitance », avait d’ailleurs confié le député caquiste de Nicolet-Bécancour, Donald Martel, au quotidien régional Le Nouvelliste le 8 mars.

Dans un rayon de 100 kilomètres autour de Bécancour, on dénombre environ 100 000 travailleurs potentiels.

Reprise de la production de feuilles de cuivre à Granby

Passé inaperçu, un investissement à Granby vient combler un trou dans la filière batteries du Québec.

La société coréenne Solus Advanced Materials reprendra la production de feuilles de cuivre à l’ancienne usine de Circuit Foil Luxembourg, qui a cessé ses activités en 2014.

Les feuilles de cuivre servent à la fabrication de l’anode, le pôle négatif de la batterie lithium-ion.

« On a annoncé jusqu’à présent pour 5 milliards d’investissements dans la filière batteries : 4 milliards dans la région de Bécancour et 1 milliard ailleurs au Québec », énumère le ministre Fitzgibbon. Le plus important investissement à l’extérieur de la région de Bécancour est pour le moment celui de Solus, à Granby.

Les travaux d’aménagement de l’usine commenceront en juillet prochain, selon le site d’informations d’affaires Business Korea. Les débuts de la production sont prévus pour le second semestre 2024.

L’investissement, qui s’élève entre 200 et 300 millions d’après les estimations du ministre Fitzgibbon, a été confirmé le 22 février dernier.

Solus représente la troisième firme sud-coréenne à annoncer une implantation au Canada dans la filière batteries en 2022 avec POSCO, à Bécancour, et LG, à Windsor.

À Granby, Solus s’installera dans l’ancienne usine de Circuit Foil Luxembourg, qui a été en exploitation jusqu’en 2005. Des activités très limitées ont subsisté jusqu’en 2014. Il s’agissait d’une coentreprise appartenant à Arcelor (aujourd’hui ArcelorMittal) et à la Société générale de financement (devenue Investissement Québec).

À l’origine, Circuit Foil était destinée à la production de feuilles de cuivre pour le marché des circuits imprimés. Au total, l’État québécois a investi 104 millions de dollars dans ce projet entre 1999 et 2003.