Nous nous souvenons tous des premiers jours de la pandémie, lorsque les consommateurs canadiens ont été témoins de la fragilité de l’approvisionnement alimentaire au pays alors que les achats de panique avaient entraîné des pénuries sur les tablettes des magasins.

Nous avons réussi à traverser cette tempête grâce principalement aux efforts extraordinaires consentis par les producteurs de lait, les fabricants de produits alimentaires et les détaillants partout au pays, qui ont rapidement réagi pour résoudre les problèmes immédiats posés par la pandémie.

Mais le retour à une certaine forme de normalité ne signifie pas que tout est réglé. La relation historiquement acrimonieuse entre les fabricants et les détaillants canadiens continue de menacer la résilience et la stabilité à long terme de l’approvisionnement alimentaire à l’échelle nationale, qui est encore une fois mise à l’épreuve – cette fois par les pressions extrêmement inflationnistes qui font augmenter le prix des aliments.

Au Canada, cinq détaillants majeurs représentent 80 % du marché de l’épicerie. Cette concentration a créé un déséquilibre relationnel entre ceux-ci et les fabricants de produits alimentaires. Certains détaillants vont tirer des revenus en dehors de ceux issus de la relation habituelle entre le fournisseur et le vendeur – chose que le consommateur voit rarement, comme d’obscurs frais de listage, des demandes arbitraires de réduction des prix ou encore des paiements pour les infrastructures du détaillant. Si cette situation demeure inchangée et sans contrôle, les fabricants de produits alimentaires continueront d’être désavantagés, ce qui se traduira par une baisse des investissements en infrastructures, moins d’emplois à temps plein et une innovation limitée. En fin de compte, les conditions actuelles menacent la durabilité et la compétitivité au sein d’un secteur agroalimentaire déjà affaibli.

C’est pourquoi il est si important que les fabricants de produits alimentaires et les épiciers se réunissent dès maintenant pour élaborer un code de bonne pratique, dans le but d’aboutir à une relation plus équilibrée qui, ultimement, répondra mieux aux besoins des consommateurs.

Ayant passé la plus grande partie de ma carrière dans l’industrie laitière au Royaume-Uni, avant de venir au Canada pour diriger Lactalis Canada, j’ai pu constater par moi-même combien un code de bonne pratique est en mesure de réduire, sinon d’éliminer, bon nombre des problèmes qui ont affaibli la chaîne d’approvisionnement alimentaire au Canada au cours des deux dernières décennies.

L’élaboration d’un tel code au Royaume-Uni ne s’est pas faite sans difficulté. Les détaillants en alimentation avaient les mêmes préoccupations que celles qu’ont actuellement leurs homologues canadiens, notamment la capacité d’adapter les modèles d’affaires et les bilans qui reposaient historiquement sur des pratiques qui désavantageaient les fabricants.

Mais aujourd’hui, tous les détaillants du Royaume-Uni avec lesquels je discute témoignent des effets positifs de ce code et affirment que leurs craintes initiales n’étaient pas fondées. Ils ont remarqué que les fabricants de produits alimentaires sont maintenant plus susceptibles de faire des investissements parce qu’une grande partie de l’incertitude qui existait dans leur relation avec les détaillants s’est dissipée.

Les données démontrent que l’investissement global dans le secteur de l’épicerie a augmenté, et que les prix à la consommation ont baissé après l’adoption du code. La collaboration au sein des chaînes d’approvisionnement s’est également améliorée, augmentant les ressources disponibles pour travailler sur la valeur ajoutée et pour faire face à des défis plus importants comme les changements climatiques.

Il y a, selon moi, trois grands principes issus de l’expérience au Royaume-Uni dont on devrait s’inspirer pour le code canadien :

Choisir une approche uniforme à l’échelle du pays, avec un arbitrage centralisé et chapeauté par des experts. Il reste à voir si cela peut se faire au moyen d’un code volontaire, ou si une réglementation gouvernementale est requise. À ce propos, la tentative initiale du Royaume-Uni de créer un code volontaire a échoué de façon spectaculaire, nécessitant alors une prise en charge législative.

Privilégier la simplicité. Bien qu’il soit inscrit dans les recueils de lois, le code du Royaume-Uni n’est pas rédigé dans un jargon juridique incompréhensible. Son libellé accessible favorise la discussion et la collaboration entre les détaillants et les fabricants, de manière à résoudre les problèmes avant d’avoir à recourir à l’arbitrage. Un code unanimement compréhensible est essentiel.

Privilégier une approche « en douceur », et ne faire appel à l’arbitrage que lorsqu’il est absolument nécessaire. La carotte, par opposition au bâton, fonctionne mieux.

Il est certain que cette démarche engendrera son lot de maux de tête à mesure que les épiciers et les fabricants de produits alimentaires apprendront à mieux travailler ensemble dans le cadre d’un code de bonne pratique, mais comme dans bien des choses de la vie, nous sommes plus forts lorsque nous travaillons tous ensemble.

La version originale de cette lettre a été publiée dans le Financial Post.