Avec un plan d’affaires aux cibles déconnectées de la réalité et une direction entièrement remplacée après un an, Garantie de construction résidentielle (GCR) a connu des débuts difficiles.

L’organisme sans but lucratif chargé de protéger les acheteurs de maisons neuves est né sur les cendres des anciens plans de garantie, contrôlés par les associations de constructeurs et minés par les apparences de conflits d’intérêts. À titre de ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, la péquiste Agnès Maltais l’a fait mettre au monde entre 2012 et 2014.

Elle a alors demandé à Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) de préparer un plan d’affaires pour GCR, en collaboration avec la Régie du bâtiment du Québec (RBQ). Le cabinet l’a remis au nouvel organisme en mai 2014, sous le nouveau règne libéral.

La Presse a obtenu ce document confidentiel. Il prévoyait que l’organisme vaudrait aujourd’hui près de six fois plus que ce qu’indiquent ses derniers états financiers.

À l’époque, les entrepreneurs délaissaient de plus en plus les unifamiliales et les petits immeubles de moins de cinq étages pour se concentrer plutôt sur les tours de condos et les appartements, deux domaines qui ne font pas partie du marché de GCR. Mais personne à la RBQ ou chez RCGT n’a vu venir cette tendance, selon le plan d’affaires.

Moins de maisons à couvrir implique moins de revenus. Résultat : après cinq ans d’activité, le chien de garde de la qualité dans les maisons neuves a une valeur nette de 12,1 millions plutôt que de 69 millions, comme prévu dans le plan d’affaires qu’a conçu RCGT.

« Ils nous sont arrivés avec des prévisions d’enregistrement complètement déraisonnables », dit le PDG de GCR, Daniel Laplante. Le plan d’affaires prévoyait 23 000 enregistrements par an, mais la première année, l’organisme en a comptabilisé seulement 11 067. «

Une petite erreur de 50 % ! Encore heureux qu’on ait réussi à dégager un surplus…

Daniel Laplante, PDG de GCR, au sujet du plan d’affaires conçu par Raymond Chabot Grant Thornton

Malgré la frénésie immobilière, l’organisme n’a jamais enregistré plus de 14 741 habitations.

GCR en chiffres

Actif net en 2020 : 12,1 millions
Prévision de RCGT : 69 millions

Revenus totaux en 2020 : 24,8 millions
Prévision de RCGT : 43 millions

Chantiers couverts en 2020 : 14 741
Prévision de RCGT : 23 000

Surplus du fonds de réserve en 2020 : 17,5 millions
Prévision de RCGT : 53 millions

Si les prévisions s’étaient concrétisées, GCR pourrait compter sur un surplus de 53 millions dans son fonds de réserve, qui sert à payer des indemnisations. Les réclamations des victimes de Bel-Habitat, qui a laissé tomber 118 familles en faisant faillite en juin, en représenteraient moins de 15 %.

Dans les faits, elles grugeront plutôt au moins le tiers de son véritable surplus de 17,5 millions.

Plusieurs de ces clients de Bel-Habitat ignoraient jusqu’à l’existence même de la Garantie, sans parler de la règle qui limite à 50 000 $ le remboursement des dépôts en cas de problème. La plupart d’entre eux ont largement dépassé ce seuil.

Avec des fonds plus abondants, GCR pourrait mieux informer le public sur ses services et les critères à respecter pour obtenir son aide, pense Marc-André Harnois, directeur général de l’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC). « S’ils avaient plus de moyens, ils seraient plus connus. »

Mauvais timing

Le plan d’affaires, préparé en 2013 et 2014, se basait sur les statistiques des anciens plans de garantie, transmises à la Régie de 1999 à 2011.

L’organisme n’avait pas encore publié les chiffres les plus récents à l’époque, ceux de 2013. Cette année-là, son marché a considérablement ralenti et le nombre de certificats délivrés a chuté, de 28 103 à 20 386.

La baisse fut encore plus brutale en 2015, avec une chute de 46 % dans les enregistrements. Pas de chance : RCGT posait comme hypothèse que le nombre de certificats délivrés demeurerait « stable pour les dix prochaines années ». Mais rien n’a été plus faux.

« Les données historiques utilisées pour les projections venaient de la RBQ », justifie l’associé qui a supervisé la rédaction du rapport chez RCGT, Nicolas Plante. C’est avec elle que le cabinet a choisi la cible de 23 000 certificats retenue pour GCR.

« Aucune indication ne permettait de croire que la moyenne du nombre d’enregistrements serait à moins de 15 000 après 2015 », assure de son côté Sylvain Lamothe, porte-parole de la RBQ.

Purge après un an

En plus de ces problèmes de plan d’affaires, GCR a dû composer avec une grave crise au sein de sa direction. La première PDG ne sera restée en poste qu’un an. Daniel Laplante a ensuite pris la tête de l’organisme en 2016, après 10 ans à la tête de l’Association de l’industrie électrique du Québec.

« Quand je suis arrivé ici, j’ai fait une analyse de ce que j’avais à réaliser, puis je ne sentais pas que j’avais le management pour y arriver », dit Daniel Laplante.

Le nouveau patron a congédié tous ses cadres ou les a poussés vers la sortie les uns après les autres, de la directrice des ressources humaines à celle des affaires juridiques, en passant par le directeur des finances.

La Presse a joint certains des ex-dirigeants mis à la porte. Leur passage chez GCR les a laissés amers, mais ils n’ont pas voulu commenter à visage découvert, pour ne pas nuire à leurs emplois actuels.

« Des cadres partaient un vendredi soir et ne revenaient jamais », raconte l’un d’entre eux. Un autre parle d’un « putsch ». « On était loin d’être tous des pas bons ! »

Chez SOS Plan de garantie résidentielle, un organisme d’information pour les consommateurs sur le plan de garantie résidentielle, la présidente voit la gestion de M. Laplante d’un autre œil. « C’est sûr que c’est une personne autoritaire », dit Albanie Morin, qui a siégé six ans au conseil d’administration. Mais elle a aussi plusieurs bons mots pour le gestionnaire.

« Il a fait un super boulot pour mieux structurer la Garantie, pour la rendre plus efficace », dit-elle. Elle note toutefois une tendance à présenter surtout le bon côté des choses au C.A..

Malgré les difficultés des débuts, GCR remplit son objectif, qui était de mieux protéger les consommateurs et d’améliorer la qualité, pense Marc-André Harnois, de l’ACQC. « Partir une business de même en moins d’un an, c’est un méchant gros contrat. C’est pas surprenant qu’au début, ç’a été un peu difficile. »

Avec la collaboration de Marie-Eve Fournier, La Presse