La famille d’un jeune de 19 ans lourdement handicapé a investi 78 000 $ dans une maison adaptée du constructeur en faillite Bel-Habitat à Laval. Avant même que la famille puisse y emménager, la demeure a toutefois été revendue dans une transaction douteuse que le syndic tâche de faire annuler en cour.

Quand l’entreprise du promoteur Luc Perrier a déposé son bilan, en juin, la maison de Miriam Kassam était construite à 80 %. Malgré les problèmes de l’entreprise, elle avait bon espoir de pouvoir s’installer dans sa future demeure de la 57e Avenue, beaucoup mieux adaptée à l’état de son fils.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Bel-Habitat construisait le futur bungalow de la famille Kassam, situé sur la 57e Avenue, à Laval, sur un terrain qui ne lui appartenait pas.

« Nous y étions presque ! Mais mes craintes sont devenues réalité », dit la mère de famille. Elle devait emménager ces jours-ci, mais pour les prochaines semaines au moins, elle devra rester dans son logement de cinq pièces du quartier Côte-des-Neiges. L’appartement est pourtant trop petit pour qu’elle puisse bien s’occuper de son fils, Ahyaad Sameer Kassam, qui souffre de paralysie cérébrale et d’épilepsie.

Construire sur le terrain d’un autre

Le problème : Bel-Habitat construisait leur futur bungalow sur un terrain qui ne lui appartenait pas. L’entreprise avait négocié une promesse d’achat du lot dans le but de le revendre à la famille Kassam avec une maison dessus.

Mais les propriétaires du terrain, Dany Corbin et Nancy Valade, n’ont jamais donné signe de vie au syndic pour conclure la transaction promise. Un mois après la faillite de Bel-Habitat, ils ont plutôt vendu le terrain à l’entreprise de Paul Valade, le frère de Nancy Valade… la maison en prime.

Prix de la transaction : 200 000 $. Bel-Habitat avait pourtant déjà réalisé des travaux d’une valeur de 293 440 $, selon le syndic de faillite Raymond Chabot. Le terrain seul, lui, est évalué à 231 228 $. La valeur totale de la propriété frôle donc le demi-million… une aubaine pour Paul Valade.

« Ce qui est un peu aberrant, c’est que ces gens-là ont décidé, sans nous appeler, pratiquement un mois après la faillite, qu’ils vendaient le terrain au beau-frère avec la maison dessus », dit Jean Gagnon, responsable du dossier chez Raymond Chabot.

Mais le syndic ne l’entend pas ainsi. Le 31 août, il était en cour pour faire annuler la transaction et forcer les ex-propriétaires du terrain à honorer leur promesse de vente.

Selon Raymond Chabot, en tant qu’administrateur des biens de Bel-Habitat, c’est à lui que revient la maison, même si le lot sur lequel elle se trouve ne lui appartient pas.

Contacté par La Presse, Dany Corbin n’a pas voulu commenter le litige. « Nous autres, là-dedans, on est des innocents, dans les deux sens », dit-il, avant de nous diriger vers son avocat, Jean-François Gilbert, qui n’a pas voulu se prononcer non plus. Il doit déposer la défense de ses clients contre la requête de Raymond Chabot à la fin du mois.

Longs délais en perspective

Si aucune entente n’intervient d’ici là, Jean Gagnon estime que le procès pourrait n’avoir lieu qu’en novembre.

Ces délais désespèrent Miriam Kassam. Elle attend depuis des mois de pouvoir s’installer dans une maison adaptée au lourd handicap de son fils, qui ne peut ni marcher ni parler.

[Mon fils] est en fauteuil roulant. Ici, c’est vraiment trop petit. Il a besoin d’espace !

Miriam Kassam

Elle dit avoir investi 8000 $ en « extras » pour aménager une maison adaptée. « Il y aura une petite pièce d’entreposage au rez-de-chaussée pour ses couches, son fauteuil roulant… », dit Mme Kassam, rencontrée dans le petit appartement de Côte-des-Neiges.

Elle a aussi fait aménager de grandes fenêtres dans ce qu’elle croyait être sa future maison. « Il aime la lumière », dit sa mère.

Malgré sa petite taille, elle soulève son fils pour le poser dans son imposant fauteuil roulant. « J’ai l’habitude », dit Miriam Kassam, qui a aussi une fille de 12 ans et dont le mari camionneur est constamment sur la route.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Ahlaam Kassam, Ahyaad Sameer Kassam et Miriam Kassam

Elle garde l’espoir que le syndic arrive à faire valoir ses droits. Mais comme de nombreux acheteurs victimes de la faillite de Bel-Habitat, la négligence du promoteur lui a « brisé le cœur ».

« Je fais vraiment de mon mieux, dit-elle. C’est pour ça que ça fait si mal. »

Transactions suspectes

« On a d’autres dossiers semblables où la maison est construite sur un terrain qui n’est qu’en promesse de vente, dit Jean Gagnon, chez Raymond Chabot. Mais les autres propriétaires de terrains collaborent très bien. »

Le syndic souligne d’ailleurs dans sa poursuite d’autres transactions douteuses survenues entre Bel-Habitat et les vendeurs du terrain de la 57e Avenue, avant même que l’entreprise ne fasse faillite.

Selon la promesse d’achat intervenue en 2019, les propriétaires du lot avaient convenu de le vendre au promoteur pour 260 000 $ et avaient exigé un dépôt de 5000 $. Mais à partir de février 2021, plusieurs autres transactions ont eu lieu, alors que Bel-Habitat était déjà insolvable, selon les vérifications de Raymond Chabot.

« Sans justification et sans contrepartie, les parties ont convenu que Bel-Habitat verserait un dépôt additionnel non remboursable de 50 000 $, soit dix fois plus que le dépôt initial prévu à la promesse d’achat », indique la poursuite.

Puis, le 3 mai, moins de deux mois avant la faillite du promoteur, Bel-Habitat a fait un troisième dépôt de 20 000 $.

Jean Gagnon a bon espoir de convaincre la Cour supérieure d’annuler la vente et de forcer les propriétaires à lui passer le titre de propriété, même si ça doit prendre deux mois.

Il y a plusieurs enjeux. Est-ce que c’est réaliste que [la famille Kassam] puisse prendre possession de la maison au mois de novembre ? Les travaux ne sont pas terminés, l’hiver s’en vient… Donc, c’est un gros drame, quant à moi.

Jean Gagnon, responsable du dossier de la famille Kassam chez Raymond Chabot

Si le syndic l’emporte, les Kassam pourront acheter la maison avec un escompte, puisqu’elle n’est pas terminée.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Miriam Kassam et son fils, Ahyaad Sameer Kassam

En tout, 118 familles ont perdu 17 millions en acomptes dans la faillite de Bel-Habitat, l’entreprise du promoteur Luc Perrier.

Dans un modus operandi que le syndic a comparé à un système de Ponzi, le promoteur a convaincu de nombreux acheteurs de maisons de lui confier des dépôts beaucoup plus importants que les 50 000 $ garantis par la Garantie de construction résidentielle.

Lors d’une assemblée des créanciers fin juillet, Luc Perrier a reconnu qu’il s’était servi de ces dépôts pour financer la construction de nouvelles habitations.