(Québec) François Legault a fait son choix et a décidé de parier sur une nouvelle génération. Tout indique que Charles Émond, 47 ans, succédera à Michael Sabia comme nouveau président de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). La nomination sera vraisemblablement entérinée dès aujourd’hui, à la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres.

Le nouveau président aura un mandat de cinq ans et entrera en fonction immédiatement, car Michael Sabia quitte à la fin de la semaine l’organisme qu’il préside depuis 2009.

Le choix a été carrément « déchirant », confient des sources à l’interne, car le comité de sélection dirigé par le président du conseil de la Caisse, Robert Tessier, penchait davantage en faveur d’un autre vice-président, Macky Tall. Michael Sabia était du même avis, semble-t-il.

Mais ce qui importait par-dessus tout pour le comité, explique-t-on, c’est que le nouveau patron vienne de l’intérieur de la Caisse et qu’il soit donc choisi parmi les deux candidats « de l’interne ». La décision du gouvernement aurait circulé, informellement, à la dernière réunion du conseil de la Caisse, la semaine dernière.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le comité dirigé par le président du conseil de la Caisse, Robert Tessier, penchait davantage pour qu’un autre vice-président, Macky Tall (photo), soit retenu.

Originaire du Mali, M. Tall est le grand responsable du projet du Réseau express métropolitain (REM) et est à la CDPQ depuis 16 ans. M. Émond est arrivé au début de l’an dernier seulement, après presque deux décennies à la Banque Scotia. Le parcours professionnel des deux hommes a, semble-t-il, été déterminant dans le choix du gouvernement. M. Tall est avant tout un spécialiste des projets d’infrastructures, une mission plus récente, plus périphérique pour la Caisse. M. Émond est une étoile montante du secteur financier, ce qui reste la vocation centrale de la CDPQ.

Un troisième candidat, André Bourbonnais, avait l’appui du ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, et surtout de l’homme d’affaires Charles Sirois, un des fondateurs de la Coalition avenir Québec. Vivant désormais à New York, M. Bourbonnais est depuis quelques mois à la tête d’un fonds de capital-investissement de BlackRock. Il était auparavant le patron d’Investissements PSP qui, avec 168 milliards d’actifs, est l’un des plus importants gestionnaires de fonds pour les caisses de retraite au Canada.

Entrevues à Outremont

M. Legault a rencontré les trois candidats en privé à sa résidence d’Outremont, il y a deux semaines, juste avant de partir pour le sommet économique de Davos. Dans tous les cas, les entretiens ont été positifs ; même si M. Tall n’a pas la réputation d’être un bon communicateur, l’entretien a été chaleureux et le courant a très bien passé avec M. Legault.

Mais Charles Émond aurait fait une plus forte impression sous l’angle du dynamisme et du leadership. Même avant d’arriver à la CDPQ, au début de 2019, il était vu comme une étoile montante dans les milieux financiers à Montréal.

À Québec, en coulisses, on craignait beaucoup que le choix de M. Émond incite Macky Tall à chercher un autre emploi. Cette possibilité n’a pas été évoquée dans les discussions avec le vice-président Tall, semble-t-il.

André Bourbonnais a aussi eu un entretien très positif, mais on aurait pu sentir une divergence de vues potentielle avec M. Legault – le premier ministre tient à ce que la Caisse puisse servir de levier pour favoriser les entreprises québécoises, même dans le secteur manufacturier, une vision à laquelle le gestionnaire de fonds Bourbonnais n’adhérait pas spontanément.

Il y a quelques jours, avant même que le gouvernement n’ait arrêté sa décision, M. Bourbonnais, sentant probablement que l’on favoriserait un candidat de l’interne, avait d’ailleurs transmis une lettre à François Legault pour faire savoir qu’il se désistait.

Avant de devenir premier ministre, François Legault n’a jamais caché qu’il souhaitait voir la Caisse jouer un rôle plus proactif dans la croissance des entreprises québécoises. Il avait même promis, durant la campagne électorale de 2012, qu’il aurait une conversation musclée avec Michael Sabia s’il était élu. L’influence des décideurs politiques sur les décisions touchant le bas de laine des Québécois est source de débat depuis des décennies.

La politique « ne l’angoisse pas »

Dans une entrevue accordée à La Presse en mai dernier, M. Émond avait laissé tomber que « l’aspect politique de [sa] fonction ne [l’]angoisse pas ».

Il affirmait alors aussi que « la protection des sièges sociaux, ça se fait au quotidien, pas seulement de façon défensive quand survient une transaction. Quand on appuie les entreprises québécoises dans leur quête d’expansion, dans leur modernisation, dans la gestion de leurs ressources, on travaille pour la sauvegarde des sièges sociaux, mais de façon offensive », une attitude qui a dû plaire à François Legault.

Diplômé de HEC Montréal, Charles Émond a fait son entrée à la Caisse comme responsable des placements privés au Québec en février 2019. En novembre dernier, on lui a confié en plus l’ensemble de la planification de la CDPQ, toute la mise en œuvre de la stratégie de la Caisse au Québec et à travers le monde. À ses responsabilités d’origine se sont ajoutées celles de Stéphane Etroy qui, depuis Londres, occupait le poste de premier vice-président et chef des placements privés de la Caisse à travers le monde.

Avant de passer à la Caisse, M. Émond avait travaillé pendant 18 ans à la Banque Scotia. Il a notamment occupé chez Scotia Capitaux le poste de chef mondial de la banque d’affaires et des marchés de capitaux. Il dirigeait les activités d’investissements à travers le monde et a permis à l’institution de prendre pied en Amérique du Sud, comme un acteur important en fusions et acquisitions d’entreprises.

Détenteur des titres de CPA et d’Expert en évaluation d’entreprises (EEE), il a fait ses classes chez Raymond Chabot et Price Waterhouse avant de se joindre à la Scotia.

Il siège aux conseils d’administration de Bombardier Transport et de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM). Avant d’entrer à la Caisse, il présidait le conseil de Jarislowsky Fraser, grande firme de gestion d’actifs. Il avait joué un rôle important dans l’acquisition de Jarislowsky par la Scotia, il y a deux ans.