Il a trimé dur sur sa ferme et ses épaules en souffrent aujourd'hui. Mais son ardeur au travail n'a pas diminué d'un iota. Défait à la fin de 2007 aux élections pour la présidence de l'Union des producteurs agricoles (UPA), après 14 ans à la direction de l'organisme, Laurent Pellerin a rebondi à la tête de la Fédération canadienne de l'agriculture, où il continue de se battre pour améliorer la situation des producteurs agricoles de tout le pays.

Laurent Pellerin reçoit La Presse Affaires sur sa ferme porcine de Saint-Grégoire (Bécancour), à quelques minutes du pont Laviolette. Une ferme dont il doit s'éloigner souvent, par les temps qui courent. Juste après notre passage, par un bel avant-midi de février, Laurent Pellerin doit s'envoler vers l'Ouest canadien. Il assistera, le lendemain matin à Lethbridge, à l'assemblée annuelle de l'Association des producteurs canadiens de betterave à sucre. «Ce sont des Gaulois en Alberta, dit-il. On ne se douterait pas que l'on cultive encore la betterave à sucre au Canada.»

C'est l'une des choses qu'il a découvertes il y a un an quand il a été élu à la présidence de la Fédération canadienne de l'agriculture (FCA), qui regroupe 26 associations provinciales et sectorielles. Il devenait du coup le premier francophone à la tête de l'organisme vieux de 75 ans, et le représentant de 200 000 agriculteurs.

Gérer la diversité

Mais représenter tant le cultivateur de blé de Saskatchewan que le producteur laitier du Québec n'est pas nécessairement aisé. «J'ai réalisé que ma principale tâche est de rallier les producteurs canadiens malgré les mentalités différentes, dit M. Pellerin. Et il y a aussi de grands écarts dans la situation des agriculteurs selon le type de production ou la région.»

Dans les Maritimes, par exemple, il est question d'une agriculture de proximité avec très peu de transformation. Dans l'Ouest, l'agriculture est d'une tout autre ampleur. «En Saskatchewan, illustre Laurent Pellerin, on cultive environ 49 millions d'hectares de terres. Au Québec, où il y a quand même une agriculture assez importante, on cultive 2,2 millions d'hectares.»

D'une production à l'autre, on passe d'un monde à l'autre. Est-ce que l'agriculture canadienne va bien? Impossible de répondre simplement. Dans les productions où il y a gestion de l'offre, ça va plutôt bien. Mais dans les productions à la merci du marché (boeuf, porc, céréales), la situation est moins favorable. Dans le sillage de la crise financière, la demande américaine a lourdement chuté, et les prix mondiaux ont baissé.

«Les producteurs sont affectés de manière directe, au quotidien», insiste Laurent Pellerin. C'est sans compter les problèmes qui viennent de la variation du dollar canadien ou de la concurrence étrangère.

La diversité canadienne se situe aussi dans les mentalités. Certains producteurs penchent davantage du côté de l'individualisme et du libre marché, d'autres privilégient plutôt l'approche collective.

Sans surprise pour quelqu'un qui oeuvre depuis 30 ans dans le syndicalisme agricole québécois, Laurent Pellerin est du deuxième groupe. «Il faudrait davantage d'approche collective. La seule façon de faire contrepoids aux grands transformateurs, c'est de se regrouper. Mais ce n'est pas toujours facile de convaincre tous les producteurs. Dans les Maritimes, les gens sont convaincus, ils n'ont pas le choix. Dans l'Ouest, il y davantage de réticence.»

Les revenus: le grand enjeu

Reste qu'un grand enjeu rassemble les agriculteurs d'un océan à l'autre, selon Laurent Pellerin. C'est la minceur des revenus.

«Ça fait 25 ans que, partout dans le monde, les agriculteurs sont mal payés», dit celui qui occupe aussi la présidence d'Agricord, regroupement international d'organisations agricoles.

Il est convaincu du potentiel agricole canadien, que les agriculteurs pourraient produire plus. Mais les problèmes de revenus mettent des bâtons dans les roues.

«Pourquoi je ferais davantage de porc? demande Laurent Pellerin. Je perds de l'argent!»

Pour s'attaquer au problème, explique-t-il, il faut d'abord revoir la répartition des revenus avec les distributeurs, qui prennent une trop grosse part du gâteau, selon lui.

En même temps, Laurent Pellerin veut convaincre les gouvernements de mettre plus d'argent sur la table et de s'assurer que les mécanismes d'aide financière soient adéquats et basés sur des mesures réalistes.

C'est une bataille sur plusieurs fronts pour Laurent Pellerin, mais une bataille qu'il estime nécessaire.

Car, pour lui, la conséquence du problème de revenu est claire: les agriculteurs quittent leur terre, laissent leur ferme. Les jeunes abandonnent.

«J'ai peur que l'on retombe dans une période de ratatinement de l'agriculture», s'inquiète-t-il.