Jésus mangeait-il de la viande ? À l’heure du végétarisme et du véganisme, la question passionne certains exégètes et archéologues.

Le régime antédiluvien

En 2024, des documentaristes américains vont sortir Christpiracy, un film affirmant que l’Église cache au monde entier que Jésus était végétarien.

La question fait surface régulièrement depuis quelques décennies. Qu’en est-il réellement ?

L’une des dernières études sur le sujet est l’œuvre d’un exégète californien, Simon Joseph. En 2019, il s’est penché sur le passage du Nouveau Testament qui est le plus souvent cité à l’appui de la thèse du Jésus végétarien, une lettre de Paul aux Corinthiens. Dans ce passage, Paul affirme que ce n’est pas nécessaire de manger de la viande et que certains chrétiens s’abstiennent de le faire.

« Si certains des premiers chrétiens étaient végétariens, comprendre pourquoi est important dans la question sur le végétarianisme de Jésus », explique M. Joseph, qui a publié son analyse en 2019 dans le Journal of the Jesus Movement in its Jewish Setting (JJMJS). « Traditionnellement, on considère que c’étaient des juifs devenus chrétiens, qui ne pouvaient pas trouver de viande tuée selon les rituels juifs là où ils vivaient, et donc s’en abstenaient. »

M. Joseph, qui enseigne à l’Université de Californie à Los Angeles, a une autre explication : ces juifs christianisés végétariens considéraient que Jésus était le Messie qui ramènerait les croyants à l’Éden originel.

Dans la Genèse, Dieu dit à Adam et Ève qu’ils peuvent manger tout ce qui pousse dans les arbres, à l’exception de l’arbre de la connaissance. Il ne parle pas de manger des animaux.

Simon Joseph, professeur à l’Université de Californie à Los Angeles

« L’arrivée du Messie devait ramener cet état édénique. Donc, il fallait revenir à l’alimentation prédiluvienne, dans le jardin d’Éden. »

Sébastien Doane, un théologien de l’Université Laval qui a beaucoup étudié la question du végétarisme du christianisme originel, estime qu’il s’agit là d’une interprétation très plausible. « La consommation de viande dans la Bible est introduite avec Noé, à qui Dieu prescrit de faire un sacrifice animal et de s’en nourrir. Donc dans l’Éden, où on reviendra avec l’arrivée du Messie, on ne mange pas de viande. »

L’hypothèse de M. Joseph fait curieusement écho aux gens qui actuellement deviennent végétariens à cause des changements climatiques, parce que la production de viande émet plus de gaz à effet de serre que la production de légumes, de céréales et de légumineuses. « C’est aussi une idée de fin du monde », dit M. Doane.

Les bouchers du temple

À l’époque du Christ, les boucheries n’existaient pas, à tout le moins dans le monde romain. « On mangeait de la viande provenant de sacrifices dans les temples », explique M. Doane.

Les partisans les plus fervents de la thèse que Jésus ne mangeait pas de viande citent d’ailleurs comme preuve sa colère contre les marchands du temple de Jérusalem. « Dans le temple, on sacrifiait les animaux et la vente de la viande était l’une des sources importantes de revenus », explique James Tabor, un théologien de l’Université de Caroline du Nord qui a publié plusieurs livres grand public sur des personnages du Nouveau Testament.

À mon avis, Jésus signale dans sa colère son opposition à la consommation de viande.

James Tabor, théologien de l’Université de Caroline du Nord

M. Joseph estime que les nombreuses références à l’Éden dans les quatre évangiles du Nouveau Testament signalent l’intention de Jésus de revenir aux pratiques de la Genèse, notamment l’alimentation végétarienne. « Quand il condamne le divorce, par exemple, il fait référence à la Genèse », dit M. Joseph.

Par ailleurs, Jésus mangeait fort probablement du poisson, selon M. Doane. « Il recrute des pêcheurs, qui continuent à pêcher, il fait la multiplication des pains et des poissons. » À l’époque, la viande était l’apanage des riches et le poisson était l’une des seules manières d’avoir des protéines non végétales pour les humbles, souligne M. Doane.

Encore aujourd’hui, les chrétiens ne considèrent pas que le poisson est dans la même catégorie que la viande, souligne M. Tabor. « Si on veut manger maigre certains jours pour des raisons religieuses, on peut manger du poisson. »

La Cène

Le dernier repas de Jésus avec ses disciples a lieu lors de la Pâque juive, un moment où il était important de manger l’agneau sacrifié dans un temple juif. « Le dernier repas, s’il est un repas pascal, aurait normalement inclus la consommation d’un agneau, mais ce n’est pas explicite, dit M. Doane. On peut supposer que Jésus a mangé de l’agneau à Pâque durant sa vie, puisque c’était la pratique habituelle. »

M. Tabor voit plutôt la Cène de manière allégorique. « Jésus, en proposant de manger son corps, demande de s’abstenir de manger de la viande, de remplacer l’agneau pascal par l’eucharistie. »

Dernier repas ou pas, les exégèses récentes de M. Doane sur la question de la viande l’ont personnellement poussé vers le végétarianisme. « Jusqu’à Constantin, plusieurs auteurs chrétiens vont dire que la façon d’être chrétien, c’est d’être végétarien. Par ailleurs, il y avait à l’époque quelque chose de sacré à abattre un animal, un respect qu’on n’a pas du tout aujourd’hui. »

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  • 9 %
    Proportion des Canadiens qui sont végétariens
    SOURCE : MAPAQ