Il est désormais possible de détecter des bombardements au moyen de sismomètres – des appareils capables de mesurer de très petits mouvements du sol. Quant à la technologie des drones, elle a fait des pas de géant. Pourquoi ? Parce que la guerre en Ukraine a fait progresser la technologie militaire.

Au début de l’invasion russe de l’Ukraine, Ben Dando a été chargé de surveiller les explosions voisines de centrales nucléaires. « On surveillait surtout le nord et l’est de l’Ukraine », dit M. Dando, qui est géophysicien à NORSAR, un institut de recherche sismique norvégien. « C’est là que les principaux sismomètres de notre organisation, qui surveille les essais militaires nucléaires, sont situés. À notre grande surprise, nous avons détecté plus de 1200 explosions en neuf mois, seulement autour de Kyiv. C’est un nombre beaucoup plus élevé que le nombre de bombardements rapporté. »

PHOTO TYLER HICKS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Vue aérienne d’une zone abondamment bombardée près de Vuldehar, dans l’est de l’Ukraine, en juin dernier

La technologie des sismomètres est si précise qu’elle pourrait être utilisée, à l’avenir, pour suivre l’évolution des conflits et détecter les violations des droits de l’homme. Par exemple, des bombardements de civils loin de cibles militaires… « C’est très précis, beaucoup plus qu’on pensait », dit M. Dando, qui a publié une étude sur le sujet fin août dans Nature.

Détecter grâce aux infrasons

Autre défi : détecter par voie sismique ou acoustique l’emplacement des batteries d’artillerie. « On tente de le faire depuis la Première Guerre mondiale, indique M. Dando. Dernièrement, les avancées des capteurs et de l’intelligence artificielle ont suscité un boum de recherches sur ce sujet. »

Quentin Brissaud, aussi de NORSAR, a cosigné l’étude de Nature avec M. Dando. « Pour le moment, on peut détecter avec les infrasons l’emplacement d’une batterie d’artillerie, mais à une distance maximale de 10 km, explique-t-il. Et ça dépend de vents favorables. Mais je sais que les recherches sont très intenses lors de manœuvres militaires ; je présume que beaucoup de progrès sont classés secret défense. »

Drones en carton

En avril, la société australienne Sypaq a annoncé qu’elle fournirait des drones militaires Corvo – en carton – à l’Ukraine. C’est un excellent exemple de la révolution des drones observée depuis l’invasion russe, selon Kelly Grieco, politologue du centre Stimson, un groupe de réflexion de Washington.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE SYPAQ

En avril dernier, des acheteurs ukrainiens se sont montrés intéressés par les drones militaires Corvo, en carton, de la société australienne Sypaq.

Au départ, « on pensait que les drones allaient devenir de plus en plus sophistiqués, dit Mme Grieco, qui a publié une étude sur le sujet au printemps ». « Au début du conflit, les drones turcs TB2 ont décimé les colonnes de chars russes. Déjà, on s’est dit que peut-être que la technologie américaine n’était pas nécessaire. Mais depuis, on utilise des drones de moins en moins coûteux, en essaims. Et maintenant, en carton ! »

On estime que l’Ukraine utilise de 5000 à 10 000 drones par mois.

Kelly Grieco

La Russie et l’Ukraine utilisent également des drones commerciaux chinois DJI Mavic 3, peu coûteux, selon Mme Grieco.

Technologie antidrone

La technologie antidrone a aussi fait des pas de géant. « Les Russes ont rapidement compris comment bloquer les communications avec les drones, dit Mme Grieco. Ces drones sont désorientés et s’écrasent. Une autre option est de se protéger avec des grillages de métal. Les drones kamikazes explosent loin de la cible [car ils se heurtent aux grillages]. »

Depuis quelques mois, les Russes utilisent des drones kamikazes iraniens Shahed-136, perfectionnés lors du conflit houthi au Yémen, pour frapper les infrastructures ukrainiennes – notamment les centrales électriques. « Il est possible de les neutraliser avec les batteries antiaériennes, mais il s’agit de missiles qui souvent coûtent plus cher que le drone iranien », dit Samuel Bendett, politologue spécialiste des drones au Centre pour une nouvelle sécurité américaine (CNAS) à Washington. « Alors, on est revenu à des technologies de la Seconde Guerre mondiale : des mitrailleuses lourdes montées sur des jeeps, qui cherchent les drones dans le ciel avec des projecteurs. »

WIKIMEDIA COMMONS

Le drone iranien Shahed-136

  • Le drone américain MQ-9 Reaper

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Le drone américain MQ-9 Reaper

  • Le drone iranien Shahed-136

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Le drone iranien Shahed-136

  • Le drone chinois Mavic 3

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Le drone chinois Mavic 3

  • Le drone turc TB2

    PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

    Le drone turc TB2

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Une douzaine d’entreprises mettent au point des « drones chasseurs de drones ». Souvent, ces drones lancent des filets qui enserrent les pales des hélices des autres drones, note un récent article de Scientific American.

Drones navals

Des drones navals ukrainiens frappent aussi la flotte russe, depuis près d’un an.

« Les drones kamikazes navals sont encore plus rentables, vu qu’un navire coûte beaucoup, beaucoup plus cher qu’un char, dit Mme Grieco. L’Ukraine a réussi à limiter les activités militaires de la flotte russe, malgré l’absence d’une marine ukrainienne. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DU USNI

L’un des premiers drones navals utilisés par l’Ukraine à l’automne 2022

Samuel Bendett souligne toutefois que les leçons à en tirer pourraient être limitées pour les États-Unis. « Les navires russes ont été touchés alors qu’ils étaient dans les ports. La sécurité semblait relâchée. […] Je pense que les navires américains en mouvement ont une sécurité beaucoup plus serrée, qui limiterait la menace des drones navals. »

Détail intéressant, un analyste a avancé que l’un des premiers succès des drones navals ukrainiens, en octobre 2022, impliquait un moteur de Sea-Doo de BRP.

« Nous sommes au fait des propos de l’analyste britannique rapportant qu’un drone de type naval utilise vraisemblablement des pièces commerciales provenant de motomarines », a affirmé Emilie Proulx, relationniste chez BRP. « Aucun moteur destiné à nos motomarines Sea-Doo n’est vendu séparément. Nos produits ne sont pas conçus à des fins militaires et nous avons des politiques et procédures en place pour encadrer la vente de nos produits. »

Inspirer la Chine et Taïwan ?

Lors d’un éventuel débarquement chinois à Taïwan, l’invasion de l’Ukraine pourrait-elle inspirer des tactiques ?

« Il est certain que la Chine utiliserait les tactiques d’essaims de drones aériens pour contrer les défenses côtières taïwanaises, estime Mme Grieco. Les drones navals pourraient aussi jouer un rôle, mais cette fois du côté de la défense taïwanaise. »

Samuel Bendett est plus circonspect. « Le conflit en Ukraine est terrestre, alors qu’à Taïwan on parle d’un débarquement et de luttes côtières. Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de leçons à tirer de l’utilisation des drones pour Taïwan. »

En savoir plus
  • 30 millions US
    Coût d’un drone américain MQ-9 Reaper
    SOURCES : USNI, RUSI, IEEE, Scientific American
  • 20 000 $ US
    Coût d’un drone iranien Shahed-136
    SOURCES : USNI, RUSI, IEEE, Scientific American
    2000 $ US
    Coût d’un drone chinois DJI Mavic 3
    SOURCES : USNI, RUSI, IEEE, Scientific American
  • 5 millions US
    Coût d’un drone turc TB2
    SOURCES : USNI, RUSI, IEEE, Scientific American