De plus en plus de gens comptent leurs pas quotidiens grâce à des appareils comme la Fitbit ou l’Apple Watch. Des chercheurs veulent s’en servir pour détecter de façon précoce des maladies comme des cardiopathies, l’apnée du sommeil ou le parkinson. Et aux États-Unis, des assureurs remboursent les clients qui en achètent. La RAMQ emboîtera-t-elle le pas ?

La fibrillation selon la Fitbit

Il y a quelques années, Steven Lubitz a rencontré dans une conférence de cardiologie un chercheur de Fitbit, l’entreprise californienne de moniteurs d’activité physique acquise en 2021 par Alphabet, le propriétaire de Google. « Il m’a parlé de leurs ambitions pour le dépistage et le diagnostic cliniques », explique l’électrophysiologiste cardiaque de l’Université Harvard. « Je me suis dit : pourquoi pas ? »

Début novembre, dans la revue Circulation, le DLubitz a démontré que la montre connectée Fitbit devrait éventuellement permettre de dépister la fibrillation auriculaire, un problème qui touche un million de Canadiens et cause plus de 2000 morts par année, notamment par l’entremise des AVC.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE FITBIT

Une Fitbit avec la fonction de détection de la fibrillation auriculaire

« On n’y est pas encore, il faut démontrer que la Fitbit ou d’autres appareils similaires portés au poignet détectent des cas de fibrillation qui mèneront à des problèmes sérieux, pas des cas de fibrillation bénigne », dit-il.

Mais j’ai confiance qu’on pourra identifier de cette manière d’ici 5 à 10 ans les gens plus à risque, pour qui on fera des tests plus poussés. On pourra aussi suivre à la maison l’évolution des patients nouvellement médicamentés.

Steven Lubitz, chercheur en cardiologie

Fitbit a obtenu en avril dernier l’approbation des autorités réglementaires sanitaires américaines, la FDA, pour une fonction permettant de dépister la fibrillation auriculaire, une irrégularité électrique du cœur.

Une solution montréalaise

Plus tôt cette année, Abhinav Sharma, cardiologue au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), a lancé le projet Decide CV de détection précoce du diabète de type 2 à l’aide d’un bracelet connecté. « Nous voulons donner aux patients la capacité de détecter plus tôt un risque accru de certaines maladies avec des biomarqueurs numériques, dit le DSharma. Ça va pouvoir être transféré à d’autres maladies comme la fibrillation et le parkinson. Les détecteurs de mouvements de type Fitbit ont certainement un rôle à jouer dans la santé numérique. »

Les bracelets que porteront les 250 personnes participant au projet Decide CV vont surveiller des biomarqueurs comme les fréquences cardiaque et respiratoire, la température corporelle, l’humidité de la peau ou l’activité physique, pour voir si certains sont liés au risque de diabète de type 2.

PHOTO GETTY IMAGES

Les bracelets que porteront les participants au projet Decide CV vont surveiller plusieurs biomarqueurs pour voir si certains sont liés au risque de diabète de type 2.

Que pense le DSharma de la fonction de dépistage de la fibrillation de la Fitbit ? « Pour le moment, il y a beaucoup trop de faux négatifs, mais ça devrait s’améliorer », répond le spécialiste de l’Institut de recherche du CUSM. La prévalence de la fibrillation est de 2 % à 3 % dans la population, alors que la Fitbit prévient le tiers de ses usagers qu’ils sont à risque, selon le DSharma.

Dans le domaine des tests médicaux, on sait que l’anxiété du patient devant un test peut fausser les résultats. Il faut voir comment éviter cela avec ce genre d’appareil.

Abhinav Sharma, cardiologue au CUSM

Un bracelet québécois

Le DSharma ne travaille pas avec Fitbit, mais avec HOP Tech, une PME québécoise spécialisée dans la santé numérique qui a conçu un bracelet. « Avec les produits commerciaux, on n’a pas accès à l’algorithme de détection des biomarqueurs », fait valoir le président et fondateur de HOP Tech, Marc-Antoine Pelletier. « Il y a aussi la question de la protection des données des patients, qui sera centrale dans la décision gouvernementale d’utiliser ou non ce type de produit. »

PHOTO FOURNIE PAR HOP TECH

Le bracelet de Hop Tech

Ce bracelet pourra-t-il être fabriqué de manière aussi économique que ceux des géants du numérique ? « Pour le moment, ça marche pour la recherche, et je n’ai pas de crainte à ce sujet », dit l’ingénieur montréalais. HOP Tech a aussi fait un essai clinique de son bracelet auprès d’enfants autistes, en collaboration avec l’Université de Sherbrooke, et a mis au point une méthode de détection de la COVID-19 à partir de l’analyse de la voix, en attente d’approbation.

L’assureur américain

PHOTO YAROSLAV ASTAKHOV, GETTY IMAGES

Depuis quelques années, des assureurs américains offrent le remboursement des bracelets de type Fitbit à leurs clients.

Depuis quelques années, des assureurs américains offrent le remboursement des bracelets de type Fitbit à leurs clients. « On parie que se faire dire combien de pas on a fait dans la journée encourage à faire plus d’exercice, un peu comme être membre d’un gym », explique Spyros Kitsiou, un informaticien de l’Université de l’Illinois à Chicago qui a publié une méta-analyse des études sur le sujet en 2021 dans le Journal of Medical Internet Research. « Dans les faits, on ne peut pas en être sûr, notamment parce que la plupart des études sur le sujet sont sous-financées et ne font pas de suivi suffisant. Très peu vont plus loin que six mois, et aucune ne dure plus qu’un an. Il se peut donc que les améliorations qu’on voit soient dues à la nouveauté. » M. Kitsiou a travaillé entre 2012 et 2014 à HEC Montréal sur le suivi numérique à domicile de patients ayant une maladie chronique.

L’apnée du sommeil

PHOTO THINKSTOCK

Plusieurs équipes planchent sur des bracelets capables de détecter l’apnée du sommeil, sans y parvenir encore.

La détection de l’apnée du sommeil, qui double le risque d’AVC chez les hommes lorsqu’elle est non traitée, exige de passer une ou deux nuits avec des appareils branchés sur le doigt et la poitrine. Plusieurs équipes planchent sur des bracelets capables de détecter l’apnée du sommeil, sans y parvenir encore. « Le problème, c’est la saturation en oxygène, qui est mesurée avec un capteur sur le doigt », explique Enrique Baca-Garcia, pneumologue à l’Université autonome de Madrid, qui a montré en 2019 dans le Journal of Clinical Sleep Medicine que la Fitbit permet de détecter 85 % des patients avec apnée du sommeil.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ AUTONOME DE MADRID

Enrique Baca-Garcia, pneumologue de l’Université autonome de Madrid

Sans la saturation en oxygène, on ne peut pas connaître la gravité de l’apnée du sommeil. Il faut avoir la saturation toutes les cinq minutes au moins, ce qui est beaucoup trop pour les batteries des bracelets actuellement disponibles. À mon avis, il faudra attendre au moins cinq ans pour que ce soit possible.

Enrique Baca-Garcia, pneumologue de l’Université autonome de Madrid

Inégalités

« Si on démocratise l’utilisation des bracelets, ça pourrait diminuer les inégalités, dit le DLubitz, de Harvard. Les populations moins favorisées ont souvent des problèmes de numératie et ont de la difficulté à décrire leurs symptômes. Si les médecins peuvent détecter des problèmes avec des biomarqueurs numériques, on vient de faire un grand pas en avant. »

En savoir plus
  • 4 à 7 ans
    Délai moyen avant de détecter le diabète de type 2, après son apparition
    SOURCE : CUSM