La migraine protège du diabète, ont montré plusieurs études ces dernières années. Elle protège peut-être aussi de certains cancers hormonaux. Des chercheurs américains viennent de démontrer pourquoi. Un baume pour les personnes souffrant de migraines, pour lesquelles il est difficile d’avoir des traitements au Québec, malgré des avancées récentes de la médecine.

Pancréas et cerveau

Les femmes souffrant de migraines ont 30 % moins de risques de souffrir de diabète, selon plusieurs études. Le lien entre les deux maux n’est pas évident. Thanh Do, chercheur à l’Université du Tennessee à Knoxville, a décidé de l’élucider. « Une maladie a sa source dans le pancréas, l’autre dans le cerveau », dit le biologiste américain, qui a présenté ses résultats en août dernier au congrès annuel de l’Association américaine de chimie.

« Je me suis dit qu’identifier le mécanisme qui lie les deux nous donnerait peut-être de nouvelles cibles pour des médicaments pour le diabète. » M. Do a visé deux molécules impliquées dans la migraine : le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP) et le polypeptide activateur de l’adénylate cyclase pituitaire (PACAP). Des médicaments inhibiteurs de la CGRP viennent d’ailleurs d’arriver sur le marché.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ DU TENNESSEE

Nous avons découvert que ces deux molécules se trouvent aussi dans le pancréas et sont impliquées dans le diabète. Nous avons déterminé comment elles réduisent le risque de la résistance à l’insuline typique du diabète.

Thanh Do, chercheur à l’Université du Tennessee

Le but est maintenant de reproduire tout cela dans un modèle animal.

Cancer du sein et des ovaires

Depuis 2008, des chercheurs aux quatre coins du monde ont observé que les femmes souffrant de migraines ont moins de risques d’avoir un cancer du sein. Mais la diminution est faible – d’autres études ont d’ailleurs relevé, au contraire, une augmentation de ce risque. Shelley Tworoger, responsable des études épidémiologiques au Centre du cancer Moffitt, en Floride, a décidé de voir ce qu’il en était pour le cancer des ovaires. « La migraine touche trois fois plus les femmes que les hommes, dit Mme Tworoger. Ça en fait une bonne variable à associer aux cancers féminins. Nous avons épluché les grandes études de suivi de la santé de cohortes d’infirmières [Nurse’s Health Studies]. Pour le moment, les résultats ne sont pas concluants, mais ça semble être lié au fait que certains cancers des ovaires ne sont pas hormonaux. Je pense que c’est la même chose pour le cancer du sein. Si on pouvait avoir du financement pour isoler les patientes ayant un cancer hormonal, on établirait peut-être un effet protecteur de la migraine. »

Stress oxydatif

Le lien entre le cancer et la migraine pourrait être le « stress oxydatif », de plus en plus ciblé comme une cause de la migraine. « La migraine est souvent présentée comme une réaction exagérée du cerveau à des stress, à des stimuli ou à des molécules menaçantes, dit Mme Tworoger. Si la migraine combat le stress oxydatif, elle pourrait agir de la même manière que les aliments contenant des antioxydants, qui semblent protéger du cancer. »

L’épidémiologiste de Tampa nomme notamment le bêta-carotène, présent dans les carottes, pour le cancer du sein, ainsi que les flavonoïdes, comme dans le thé et les bleuets, pour le cancer des ovaires. Les antioxydants protègent les molécules du corps humain contre des modifications indésirables.

Élisabeth Leroux, neurologue montréalaise spécialiste de la migraine, confirme que la migraine pourrait être une réaction aux menaces extérieures ou intérieures. « Quand on a la migraine, on se met dans un état où on ne consomme pas beaucoup d’énergie », dit la Dre Leroux. Elle souligne par ailleurs que la migraine comporte une composante vasculaire importante, qui pourrait ne pas être liée au stress oxydatif.

Une maladie négligée

La Dre Leroux estime par ailleurs qu’il ne faut pas trop mettre l’accent sur les « bienfaits » de la migraine. « S’il y a une diminution du cancer du sein, elle est très, très faible par rapport à d’autres facteurs comme le poids et le style de vie », dit la neurologue montréalaise.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Si on parle de la migraine, il faudrait parler du grave problème d’accès aux soins. C’est vrai un peu partout au Canada, mais c’est pire au Québec.

Élisabeth Leroux, neurologue montréalaise spécialiste de la migraine

« J’ai essayé sans succès de monter une clinique multidisciplinaire de migraine au CHUM, poursuit-elle. Puis, je suis partie en Alberta il y a une demi-douzaine d’années pour un projet de clinique de la migraine, qui finalement n’a pas fonctionné. Au Canada, il n’y a qu’en Ontario où on a des cliniques adéquates, avec un suivi multidisciplinaire très serré des patients, pour trouver le bon médicament pour les aider. Il y a de la formation académique, c’est pris au sérieux. C’est dommage, parce qu’il y a justement de nouveaux médicaments. Quand je suis revenue à Montréal, je suis allée voir les gens d’une ancienne clinique de la migraine. Ils m’ont expliqué que les codes de facturation québécois du suivi de la migraine ne permettent pas de passer assez de temps avec les patients. »

La migraine comme les Alpes

Nicole Parent a vécu toute sa vie avec une maladie « honteuse ». L’avocate semi-retraitée de Boisbriand n’a jamais laissé sa migraine, apparue à l’adolescence, nuire à sa pratique, mais elle ne compte plus les soupers ou les voyages annulés à la dernière minute. Sa vie était un enfer jusqu’à ce qu’elle rencontre la Dre Leroux, à l’âge de 51 ans. « Elle passe 45 minutes avec ses patients, c’est trois fois plus long que tous les neurologues que j’avais vus avant, dit MParent. Avant la Dre Leroux, généralement, les médecins me disaient qu’il n’y avait pas grand-chose à faire. »

PHOTO FOURNIE PAR NICOLE PARENT

Nicole Parent dans les Alpes en 2018

Quand je dis que c’est une maladie honteuse, c’est qu’il n’y a pas de trace. Peu de gens prennent au sérieux un mal de tête. Mais c’est beaucoup plus que ça, il y a des nausées, même des pertes de vision.

Nicole Parent, avocate

« Quand je vais en voyage, pour moi, le décalage horaire dure deux ou trois jours, dit-elle. J’aime beaucoup faire du vélo ; pour moi, la migraine est comme une randonnée dans les Alpes, on est toujours en train de monter une côte. »

La migraine et l’alimentation

L’une des rares tactiques efficaces que MParent avait adoptée avant de rencontrer la Dre Leroux est de ne plus boire de vin, depuis 10 ans. « C’est sûr qu’on peut identifier des aliments qui sont associés aux migraines, souvent avec beaucoup de sucre, dit la Dre Leroux. Mais on ne peut généralement pas contrôler la migraine seulement avec l’alimentation. »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE DAVID DUNAIEF

David Dunaief, créateur du régime LIFE

Fin novembre, la publication dans la revue BMJ Case Reports d’une étude rapportant la guérison d’un migraineux avec une alimentation à base de plantes a fait couler beaucoup d’encre. « Un rapport de cas, ça sert à indiquer une avenue de recherche, dit la Dre Leroux. Mais on présente l’étude comme un traitement à suivre. J’ai beaucoup de patientes qui font preuve d’une saine incrédulité face aux reportages sur cette étude. » L’auteur de l’étude, David Dunaief, explique qu’il a créé lui-même le régime LIFE (aliments faiblement inflammatoires tous les jours) pour les patients de sa pratique d’omnipraticien. « Je sais que d’habitude, un rapport de cas sert à stimuler la recherche, mais comme avec l’alimentation, il n’y a pas de risques pour le patient, je ne vois pas pourquoi d’autres gens n’essaieraient pas le régime LIFE. »

La migraine en chiffres

12 % des Canadiens ont des migraines de temps à autre

De 2 % à 3 % des Canadiens ont des migraines plus de 15 fois par mois

36 milliards US : coût social estimé de la migraine aux États-Unis

SOURCE : CDC