Vous ne rêvez pas : le temps accordé aux actualités et aux phénomènes culturels et sociaux est en chute libre dans le monde, révèle une nouvelle étude publiée dans la revue Nature Communications.

Le pied sur l’accélérateur

Le monde s’accélère. Ou plutôt : notre capacité d’attention collective reste la même, mais le nombre d’éléments en compétition pour en occuper une partie augmente rapidement, ce qui fait que l’attention accordée à chacun s’en trouve diminuée. C’est la conclusion de l’étude « Accelerating dynamics of collective attention », publiée dans le plus récent numéro de la revue scientifique Nature Communications. Pour la réaliser, les chercheurs ont étudié plus de 43 milliards de tweets, 100 années de publication de livres répertoriés sur Google Books, le succès de plus de 4000 films au box-office, la consultation de sites populaires comme Reddit et Wikipédia et celle de publications scientifiques.

Mots-clics éphémères

Les chercheurs ont analysé les mots-clics de plus de 43 milliards de tweets et ont constaté que la « durée de vie » des 50 mots-clics les plus populaires était de plus en plus courte. En entrevue, Philipp Höevel, maître de conférences en mathématiques appliquées à l’Université de Cork et coauteur de l’étude, explique : « Le mot-clic le plus populaire de l’année 2013 est resté au sommet de la liste pendant deux jours, mais en 2016, le mot-clic le plus populaire n’y est resté que durant 12 heures avant d’être remplacé. Motivés par cette trouvaille, nous avons réalisé qu’un phénomène semblable était observable tant dans le monde de l’internet que dans le monde réel. »

La peur de rater quelque chose

La conclusion des chercheurs : les sommets de popularité pour les différents éléments culturels sont plus nombreux qu’avant, et durent moins longtemps. Cela semble donner une base théorique au phénomène de « la peur de rater quelque chose » (fear of missing out, en anglais), expression utilisée pour décrire le constant besoin de consulter son téléphone, sa tablette ou son ordinateur pour être certain de ne rien rater d’important – phénomène accusé d’être à l’origine d’une utilisation obsessionnelle des écrans. « Le mécanisme derrière ce phénomène est une hausse du rythme de production et une hausse du rythme de consommation des éléments d’information, explique M. Höevel. Il est clair que l’attention du public change plus vite qu’avant. En d’autres termes, les pics d’attention arrivent à des fréquences plus rapprochées. »

Comment contrecarrer le phénomène ?

Est-il possible d’essayer de contrecarrer ce phénomène ? Philipp Höevel estime que oui. « Comprendre les mécanismes qui sont à l’origine de cette accélération sociale est déjà un grand pas pour faire face à une hausse de la quantité d’information. Il peut être important de filtrer l’information et de se concentrer sur les sources qui sont importantes. On peut aussi utiliser différents médias pour différents rythmes (quotidiens, médias sociaux, plateformes en ligne, livres). Par exemple, il y aura toujours de la place pour des sujets visionnaires ou des enquêtes fouillées, mais leur seule dissémination sur les réseaux sociaux ne sera probablement pas le meilleur mode de distribution. »

Articles scientifiques immunisés

Les auteurs ont aussi étudié la consultation de pages Wikipédia, de même que celle d’articles publiés sur le web par de grandes revues scientifiques, et ont réalisé que ces sources n’étaient pas soumises à la diminution du temps d’attention. « Une explication possible est qu’il s’agit de systèmes basés sur la connaissance, et qu’elles sont moins soumises aux dynamiques de l’attention et de la popularité que les autres sources étudiées, dit M. Höevel. Créer de la connaissance est plus profond et s’appuie sur ce qui était déjà connu. »

> Lisez l'étude publiée dans Nature Communications (en anglais)