« Là, on en a assez », fulmine Pierre Lavoie

Ce qu’il faut savoir

  • Les personnes du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de Charlevoix et de la Haute-Côte-Nord sont invitées, avant de concevoir un enfant, à se faire tester pour savoir si elles sont porteuses de l’une des quatre maladies héréditaires très répandues dans ces régions.
  • Depuis trois ans, le triathlonien Pierre Lavoie et des professionnels de la santé bataillent pour l’inclusion de deux autres maladies héréditaires très graves.
  • Chaque test coûte 10 $, mais Québec n’a pas encore donné son feu vert.

« Quand Félix est né, je ne pensais pas qu’il allait vivre. Il était si petit, si déformé… Quand il a eu 2 mois, on nous a appris qu’il était atteint de la mucolipidose de type II, une maladie mortelle. »

Audrey Imbeault et son conjoint, qui habitent à Chicoutimi, avaient pourtant joué de prudence. Ils s’étaient déjà fait tester pour savoir s’ils étaient porteurs de l’une des quatre maladies héréditaires qui comptent un grand nombre de porteurs dans les régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de Charlevoix et de la Haute-Côte-Nord. C’était le cas d’Audrey pour l’une d’elles, mais comme le test de dépistage de son conjoint était négatif, ils n’étaient pas à risque. C’est donc sans inquiétude qu’elle a choisi d’avoir un quatrième enfant, d’autant que ses trois autres enfants sont en santé.

Sans le savoir, les deux conjoints étaient cependant porteurs de la mucolipidose, « une maladie dont je n’avais jamais entendu parler », note-t-elle, et qui ne fait pas l’objet d’un dépistage.

À 14 mois, son fils, qui pèse à peine cinq kilos et dont l’espérance de vie est de huit ans tout au plus, ne marche pas. Il est atteint d’une dégénérescence du cœur et des poumons, ainsi que d’un retard du développement physique et intellectuel. Il ne peut pas se nourrir normalement et tout virus peut lui être fatal.

« Son corps et son cerveau ne se développeront pas plus que ceux d’un enfant de 18 mois », indique sa mère, qui a changé de travail afin d’avoir plus de temps pour s’occuper de lui.

Qu’espère-t-elle pour son enfant ? « Qu’il vive le plus longtemps possible, tant qu’il aura une certaine qualité de vie. On a déjà décidé, avec mon conjoint, que si son état dégénère, on ne demandera pas une réanimation. »

En entrevue, le triathlonien Pierre Lavoie, père de deux enfants qui ont succombé à l’acidose lactique – l’une des quatre maladies dépistées depuis 2009 –, fulmine. Cela fait trois ans qu’il plaide pour que la mucolipidose de même que le syndrome de Zellweger soient ajoutés aux quatre maladies déjà dépistées.

L’ajout de ces deux autres maladies coûterait 10 $ seulement ! À l’évidence, notre système est allergique à la prévention.

Pierre Lavoie, triathlonien

Le système de dépistage est déjà bien rodé, note M. Lavoie. La trousse de dépistage arrive par la poste, les personnes n’ont qu’à renvoyer un prélèvement fait à la maison dans leur joue avec un coton-tige. En quelques jours, ils apprennent s’ils sont porteurs ou pas d’une maladie. Le test de dépistage des deux maladies à ajouter se ferait à partir du même échantillon que pour les quatre autres.

Si le couple est porteur, il peut alors décider de procréer quand même – malgré le risque élevé d’avoir un enfant atteint – ou d’avoir recours à la fécondation in vitro, à partir des ovules et spermatozoïdes des partenaires, ou d’une insémination artificielle.

Un organisme-conseil débordé

Le problème : l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), un organisme indépendant qui conseille le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et qui a le dossier en main, se dit débordé. « Nous vous invitons à communiquer avec le MSSS qui sera en mesure de vous expliquer son fonctionnement décisionnel pour les dossiers de dépistage » et « la priorisation de dossiers », nous a répondu l’organisme.

Les dossiers de la mucolipidose et du syndrome de Zellweger « ne sont pas bloqués, ils sont bien en cours pour une publication d’ici l’été 2024 », ajoute l’INESSS, qui inclut dans sa réponse une liste d’une dizaine de ses productions récentes ou à venir (ayant notamment trait à d’autres types de dépistage) qui ont fait l’objet d’une priorisation.

« Nous sommes conscients que les délais liés à de tels travaux peuvent être source d’insatisfaction, mais il s’agit de travaux et d’expertises complexes », ajoute l’INESSS.

« Nous sommes très sensibles à la situation des personnes vivant avec cette maladie, nous répond Antoine de la Durantaye, l’attaché de presse du ministre Christian Dubé, et nous sommes d’accord que la prévention est une priorité. Nous sommes en contact notamment avec Pierre Lavoie. Nous allons attendre les recommandations des experts de l’INESSS avant de nous prononcer davantage. »

Ce qui retarde la mise en place du dépistage, c’est notamment le fait que l’INESSS a décidé de tenir d’abord une consultation publique sur le sujet. Une aberration, selon M. Lavoie, puisque les quatre autres maladies ont déjà fait l’objet de telles consultations et que l’acceptabilité sociale est extrêmement élevée dans la région.

Pierre Lavoie veut financer le dépistage lui-même

« Là, on en a assez, peste Pierre Lavoie. Ce n’est vraiment pas ce que je souhaite, mais on se met en mode plan B. On va partir une fondation, faire une ride de bicycle et on va financer ce dépistage nous-mêmes. C’est trop long avec le ministère de la Santé. »

Que des bébés naissent avec des maladies aussi cruelles, que des familles vivent des deuils aussi pénibles que ceux qu’il a lui-même vécus, alors que tout est prêt et à coût très bas, est carrément insupportable à M. Lavoie, qui a déjà financé plus de 200 projets de recherche sur les maladies orphelines.

Le pédiatre Mathieu Desmeules, qui exerce à l’hôpital de Chicoutimi, se dit lui-même très irrité par la longueur des délais. Dans sa jeune pratique, il a déjà dû cinq fois annoncer l’impossible nouvelle à des parents ou accompagner en soins palliatifs de très jeunes enfants.

La pertinence d’ajouter deux maladies au dépistage lui apparaît évidente quand on pense aux deuils si difficiles que supposent ces maladies, et aussi aux coûts qu’entraîne une seule journée à l’hôpital, sans parler de ce qu’il en coûte aux soins intensifs. À cela s’ajoutent « tous ces impôts que ne paient pas les parents, le chômage qu’il faut souvent leur verser et tout le reste », parce que les parents doivent souvent renoncer à leur travail et se consacrer entièrement aux soins de leur enfant malade.

Le personnel de la santé de la région est très mobilisé. Luigi Bouchard, biochimiste et chef du service de biologie moléculaire et génétique au CIUSSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean, est l’un de ceux qui ont formulé la demande d’ajout du dépistage de la mucolipidose et du syndrome de Zellweger il y a maintenant trois ans.

Lui non plus ne comprend pas les délais à l’INESSS.

Tous les 18 mois, un enfant naît ici avec l’une des deux maladies.

Luigi Bouchard, biochimiste et chef du service de biologie moléculaire et génétique au CIUSSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean

Il confirme que si le feu vert était donné, « on pourrait lancer le dépistage en quelques jours » étant donné que l’infrastructure nécessaire est déjà en place.

M. Bouchard ne comprend pas la nécessité de tenir des consultations publiques. Tout cela a déjà été fait pour les quatre autres maladies, note-t-il aussi.

De très rares personnes ont craint l’eugénisme, mais M. Bouchard rappelle que le test est optionnel.

Il s’agit d’un dépistage à faire avant la conception – ou en début de grossesse –, l’idée étant de permettre aux couples d’avoir toutes les informations en main pour prendre une décision libre et éclairée, sans aucune pression, quel que soit leur choix.