Les urgences de l’hôpital de Verdun exigent un dépôt obligatoire de 500 $ pour les malades sans carte d’assurance maladie à jour et les récalcitrants ont été régulièrement ignorés par des urgentistes qui voulaient s’assurer d’être payés.

Ces médecins – dont au moins un traînait un terminal Interac dans sa blouse de médecin – faisaient simplement abstraction des patients en question dans la salle d’attente et repoussaient leur consultation jusqu’à ce que leur quart de travail soit terminé. La nuit, un seul médecin travaille dans ces urgences.

C’est ce que révèle une décision d’arbitrage datée de la semaine dernière, qui décrit la situation qui prévalait en 2019. L’exigence d’un dépôt de 500 $ est toutefois toujours en vigueur, a-t-on indiqué à La Presse lorsque nous avons appelé directement aux urgences de l’hôpital de Verdun, jeudi.

L’arbitre s’est penchée sur la suspension et le congédiement imposés cette année-là à l’infirmier Yves Goulet. Celui-ci avait tenté de convaincre un homme arrivé en ambulance avec une carte périmée de payer le dépôt ou de se rendre au CLSC pour obtenir une carte temporaire. Sans quoi il risquait de ne pas être vu par un médecin.

Le patient impliqué dans le dossier de M. Goulet, incapable de payer, a finalement quitté les urgences avant d’avoir vu un médecin. Il est revenu quelques heures plus tard en ambulance, son état nécessitant finalement une intervention chirurgicale urgente.

L’hôpital de Verdun a ensuite vivement reproché son intervention à M. Goulet. Il a été suspendu 20 jours, puis congédié à l’issue d’évaluations de son travail.

« Des infirmières contraintes d’aller collecter »

Dans une longue décision, l’arbitre de grief Dominique-Anne Roy a annulé le congédiement de M. Goulet, réduit sa suspension et critiqué la décision « incompréhensible » de l’Hôpital.

Lorsque [l’infirmier] explique à l’usager qu’il doit verser un dépôt de 500 $ pour accéder à des soins, il ne ment pas : il ne fait qu’énoncer la règle applicable.

Extrait de la décision de l’arbitre de grief Dominique-Anne Roy

L’infirmier « n’a pas plus tenu des propos mensongers lorsqu’il a expliqué à l’usager qu’il était possible qu’il ne soit pas vu par le médecin de l’urgence présent sans acquitter le dépôt », est-il aussi souligné dans la décision.

Des « médecins s’arrangent pour ne pas soigner les usagers sans carte, les laissant dans la salle d’attente pour qu’ils soient vus par leurs collègues du quart de travail suivant. Les infirmiers du triage écopent aussi par ricochet, eux qui restent pris avec le problème. Le plaignant explique qu’il était témoin de cette situation mensuellement lorsqu’un usager sans carte à jour ne présentait pas un cas vraiment urgent, tel un arrêt cardiaque ». L’infirmier « a aussi été témoin de situations où des infirmières ont été contraintes d’aller collecter de l’argent directement auprès des usagers pour ensuite le remettre à des médecins ».

Des remous à l’interne

L’hôpital de Verdun fait partie du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (CCSMTL).

« L’incident de 2019 rapporté dans la décision d’arbitrage est regrettable, mais n’est pas représentatif de la façon dont nous accueillons nos usagers à l’Hôpital Verdun ou dans les autres établissements du CCSMTL. Notre mission est d’offrir des soins de qualité à nos usagers, et d’assurer une évaluation juste de leur condition à leur arrivée à l’urgence », a indiqué la conseillère aux relations médias du CIUSSS Marianne Paquette, dans un courriel.

« Tous les patients recevront les soins requis à la gravité de leur condition, sans discrimination à leurs moyens de paiement. Les patients reçoivent les soins de santé requis, même s’ils ne donnent pas de dépôt à leur arrivée aux urgences. Si le patient n’est pas en mesure de payer le dépôt et ses frais de consultation, le service des ressources financières fera parvenir une facture au domicile de l’usager, a-t-elle ajouté. Les professionnels de la santé priorisent en tout temps la réponse aux situations les plus urgentes. »

La décision rapporte que la directive concernant le dépôt obligatoire a provoqué des remous à l’interne.

L’infirmière-chef Rinda Hartner « s’insurge » du fait que son équipe devait servir de collecteurs aux médecins et « rappelle que le serment prêté [par les médecins] de soigner est réel, doit parler, et vise autant le mendiant que le premier ministre », a noté l’arbitre Dominique-Anne Roy.

L’un des médecins en cause, joint par La Presse, a fait valoir qu’il n’avait « jamais refusé de soigner un patient », mais a confirmé qu’il avait « insisté pour avoir les informations des patients ».

Je suis convaincu que ni moi ni aucun de mes collègues n’avons refusé de voir un patient qui n’avait pas de RAMQ.

L’un des médecins en cause, joint par La Presse

Il a confirmé qu’il avait traîné un terminal de paiement dans sa blouse à une certaine époque, afin de faire payer les touristes qu’il soignait. La Presse a décidé de ne pas publier le nom de ce médecin, parce qu’il n’a pas été entendu par l’arbitre de grief.

Le syndicat de M. Goulet, la FIQ, n’a pas voulu réagir.

« Il est clair que le médecin doit prioriser le patient et toujours lui porter secours et lui fournir les meilleurs soins possibles », a réagi le Collège des médecins, par l’entremise de sa conseillère médias Leslie Labranche. « Nous tenons à rappeler que du point de vue des obligations déontologiques du médecin, ce dernier doit toujours, en situation d’urgence, s’assurer de prioriser les intérêts du patient avant toute considération financière de sa part. »

Une faute, tout de même

L’arbitre de grief Dominique-Anne Roy a fait passer la suspension imposée à Yves Goulet de 20 à 2 jours sans solde, en plus d’annuler son congédiement.

Car l’infirmier a tout de même commis une faute, selon sa décision. « Les années d’expérience du plaignant à l’urgence auraient dû l’amener à ne pas s’acharner à convaincre l’usager de l’importance d’avoir une carte d’assurance maladie à jour », a tranché l’arbitre. Au point qu’il « a fait défaut de trier l’usager et d’évaluer adéquatement [la] condition » du malade, se contentant de retranscrire les observations des ambulanciers plutôt que de procéder à sa propre évaluation.

Dans la foulée de cet épisode, l’infirmier a été soumis à une évaluation intensive de ses compétences, à l’issue de laquelle il a été congédié. « Les conduites attaquées sont pour la plupart conformes aux pratiques de l’urgence de l’Hôpital de Verdun », a écrit l’arbitre Dominique-Anne Roy, en annulant la décision.