(Montréal) Les appels au retrait, au report ou à la réécriture complète du projet de loi sur la sécurisation culturelle se sont multipliés au même rythme où défilaient divers représentants autochtones en commission parlementaire cette semaine. Mais peu importe la force des vents contraires, le ministre Ian Lafrenière est déterminé à aller de l’avant.

Aucun des intervenants autochtones entendus lors des consultations particulières n’a accueilli le projet de Loi instaurant l’approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux avec enthousiasme.

« Personne ne m’a dit que c’était parfait, mais les gens reconnaissent qu’il faut agir », estime le ministre.

Certains intervenants ont réclamé que des voix autochtones soient impliquées en coconstruction dans les projets de loi qui les concernent. D’autres ont dénoncé un empiétement de Québec dans les champs de compétence des gouvernements autochtones. Certains ont parlé d’une manière de faire « paternaliste » ou encore « colonialiste ».

De son côté de la table, le ministre s’est défendu en soutenant qu’il n’était pas question d’imposer des règles aux groupes autochtones, mais plutôt d’imposer des règles au réseau de la santé afin de mieux servir et soigner les populations autochtones.

« J’ai très bien entendu les recommandations qui ont été faites, a assuré le ministre en entrevue à La Presse Canadienne, mercredi. Des fois, il faut prendre un pas de recul. Il faut comprendre que c’est un sujet hyper émotif et c’est normal. »

Vers la fin des auditions, mercredi, le juge à la retraite Jacques Viens, qui a présidé la « Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec », a semblé pointer une voie de passage au ministre dans le débat sur la reconnaissance du racisme systémique.

L’ex-commissaire a déclaré qu’il est « impossible de nier la discrimination systémique dont sont victimes les Premières Nations et les Inuit ». Si le terme racisme ne convient pas à ses yeux, celui de discrimination serait tout à fait juste, croit-il. Et le gouvernement doit le nommer.

« Si on ne fait pas un pas vers la question de la discrimination systémique et du Principe de Joyce, je pense que ça va bloquer, a prévenu l’ex-juge Viens. Malgré toute votre bonne volonté et vos efforts louables, je suis convaincu qu’il sera difficile d’aller de l’avant. »

Ce discours semble avoir touché une corde sensible chez Ian Lafrenière.

« J’ai entendu une nuance. J’ai entendu les propos du juge Viens. On est plusieurs à la commission à l’avoir entendu. Ça porte à réflexion », a confié le ministre en entrevue.

Les groupes autochtones exigent l’adoption du Principe de Joyce, qui est en soi une forme de sécurisation culturelle. Celui-ci a été rédigé par la communauté atikamekw et endossé par le gouvernement fédéral ainsi que par plusieurs groupes de la société civile comme le Collège des médecins et l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec.

Or, l’un des éléments essentiels du Principe de Joyce consiste à reconnaître l’existence du « racisme systémique auquel sont confrontés les Autochtones ». Une admission que refuse de faire le gouvernement de François Legault.

Opposition en bloc

Au moment de leur passage devant la Commission des institutions, les représentants du Conseil atikamekw de Manawan, de la nation Innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam, de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, de Femmes autochtones du Québec et du Bureau du Principe de Joyce ont tour à tour demandé le retrait du PL-32 ou de le suspendre le temps d’entreprendre une véritable collaboration.

« La sécurité culturelle ne pourra s’actualiser dans un réseau de santé et de services sociaux […] sans la reconnaissance de l’évidence. Le réseau tel qu’il a été conçu contient des politiques programmes et services qui discriminent les personnes autochtones », a asséné mercredi la directrice générale du Bureau du Principe de Joyce, Jennifer Petiquay-Dufresne, avant de faire un coup d’éclat en quittant la salle.

La veille, le chef de la communauté atikamekw de Manawan, Sipi Flamand, avait répondu que « c’est mieux de prendre plus de temps pour faire mieux » quand le député de Québec solidaire Sol Zanetti l’a interrogé sur la possibilité de suspendre le PL-32.

Marjolaine Siouï, directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL), a confié en entrevue avant son passage devant les élus que le projet de loi reposait sur des « fondations chambranlantes » alors que Québec et les Premières Nations n’ont pas la même définition du concept de consultation.

« Pour nous, le principe de consultation veut dire retourner auprès de nos populations pour qu’elles puissent nous dire ce qu’elles attendent de la sécurisation culturelle », a-t-elle dit.

Dans son mémoire, la société Makivik écrit que « nous souhaitons que le Projet de Loi 32 reflète la position des Premières Nations et des Inuit en matière de sécurisation culturelle, et non une approche morcelée, diluée, qui ne correspond ni à nos demandes, ni même aux données probantes ».

De son côté, le Conseil des Mohawks de Kahnawake écrit que la définition et la défense de leur sécurité culturelle constituent des droits et des responsabilités qui appartiennent aux Premières Nations et non au gouvernement du Québec.

Pis encore, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador a carrément refusé de se présenter devant les parlementaires. Son chef, Ghislain Picard, a expliqué dans une lettre ouverte qu’il jugeait le projet de loi « irrespectueux des droits des Premières Nations ».

Il a accusé le gouvernement Legault de faire preuve de « mépris » envers l’autonomie gouvernementale des Premières Nations et leurs champs de compétence.

À toutes ces critiques, le ministre Lafrenière répond que le gouvernement a déjà tenté l’approche du dialogue et des consultations avec les Premières Nations et qu’au bout de deux ans, il n’y avait toujours pas de résultats.

« On a pris une autre approche, explique-t-il. On a dit : « Priorisons. Avançons. Même si c’est imparfait, avançons. » »