Il a connu la rue, la pauvreté, la prison et la dépendance. Le photographe copilote maintenant un projet d'ateliers photographiques pour les jeunes sans-abri. Il est notre personnalité de la semaine.

Si vous allez voir aujourd'hui le World Press Photo, une exposition de ce qui s'est fait de meilleur en photojournalisme récemment - c'est au Marché Bonsecours et c'est la dernière journée -, ne manquez pas les images qui sont affichées à la mezzanine.

Ne manquez pas les portraits saisissants, poétiques, de jeunes qui sourient ou pas à l'appareil photo, mais dont on se dit qu'à travers leur regard, ils ont quelque chose à nous dire, à demander à notre conscience. Ne manquez pas la nature morte d'une friperie aux lunettes de star, un tunnel de métro sombre, dont la joie et la tristesse sont portées toutes les deux, main dans la main, par des lumières embrumées. 

Ces clichés sont ceux de Photos Dans la rue, projet d'ateliers photographiques mis sur pied pour les jeunes sans-abri ou en situation précaire qui fréquentent le centre de jour et la salle d'art de l'organisme Dans la rue. Le projet, échelonné sur l'année, a été piloté par trois personnes : Monica Mandujano, intervenante psychosociale, responsable de l'atelier d'art de Dans la rue, Alejandra Ariza, photographe qui se passionne pour les sujets sociaux, et son conjoint, Alexandre Lepage. 

Alexandre, qui a 42 ans, a été jadis un de ces jeunes.

UNE OREILLE POUR LES JEUNES

Décrocheur avant la fin de la deuxième secondaire, employé comme technicien de scène aux Foufounes électriques à 16 ans, père d'un enfant à 19 ans, aux prises avec des difficultés de santé mentale et s'automédicamentant sans le savoir, il a connu la rue, la pauvreté, la prison et, surtout, la dépendance.

Mais notre personnalité de la semaine s'en est sortie et tenait à mener ce projet bénévolement, à aider, à « redonner, parce que [lui], on [lui] a beaucoup donné ». 

« Je voulais dire à ces jeunes-là que je les comprends », explique le photographe en entrevue. « Que je comprends ce qu'ils vivent. Et que c'est possible de faire quelque chose. »

Travailler avec eux l'a rendu heureux. Leur montrer comment fonctionne un appareil photo. Qu'il n'y a pas que les téléphones dans la vie. Qu'ils ont du talent. « J'en ai connu de toutes les sortes, gentils, parfois colorés, certains plus hyper que les autres, des super réservés. » Des jeunes qui ont compris très vite comment tirer le maximum des appareils prêtés par Canon. 

« On allait marcher ensemble ou on faisait ça en studio. Ils apprenaient vite comme un claquement de doigts. Ils n'avaient aucun problème à apprendre à créer, à faire de belles choses. »

- Alexandre Lepage

Ces jeunes, dit-il, sont loin des clichés du punk au coin de la rue qui insiste pour laver le pare-brise. « Il y en a qui ont l'air d'enfants sages. »

Quand on lui demande de raconter son histoire à lui, Alexandre laisse échapper un long soupir. Avant l'entrevue, à la blague, il suggère de parler plutôt à son bon ami, Jean Leloup, qu'il vient de croiser au café où nous nous sommes donné rendez-vous. Un autre qui a connu la galère, mais qui est rendu bien ailleurs.

Alexandre est un gars du Plateau. Il a pas mal grandi là, dit-il, même si aujourd'hui il vit plus à l'est.

Mère infirmière, père ingénieur. Il n'a pas toujours été proche d'eux, parce que la dope, dit-il, ça fait ça. « On perd pas mal tout. » Mais aujourd'hui, cette époque est révolue.

Alexandre a repris contact avec des amis, ses frères, et même retrouvé son fils, un homme de 23 ans qui attend lui-même un enfant. 

MÉTIER : PHOTOGRAPHE

Pour vivre, Alexandre travaille comme photographe, il a un studio et prend des contrats, et il est aussi technicien de scène.

L'histoire de cet homme est complexe comme un roman noir, avec de la violence, de la prison, de la rue, l'abandon de proches qui partent, incapables de supporter la toxicomanie, des gens qui restent malgré tout, pour soutenir leur ami à travers les épreuves, un roman qui serait rempli de rebondissements tristes, mais aussi, maintenant, heureux.

« Maintenant, je m'organise pour être bien dans la vie, pour faire ce que j'aime, en accord avec mes valeurs. J'ai l'impression d'avoir détruit tellement d'années de ma vie. » Maintenant, Alexandre fonce vers tout ce qu'il reste.

Le prochain projet du photographe est de partir en Amérique du Sud, en Colombie, le pays d'origine d'Alejandra, la femme avec qui il partage sa vie. 

Ensemble, ils veulent aller faire un documentaire sur les Arhuacos, une ethnie indigène de Colombie. Les Arhuacos vivent en marge, sont autosuffisants et pacifistes, même si les promoteurs qui s'en prennent à leur région du nord du pays les obligent à répliquer par la loi, explique Alexandre. Ils sont vraiment fascinants, ajoute-t-il. « Ils se prennent pour les sauveurs de l'humanité. »

ALEXANDRE LEPAGE EN QUELQUES CHOIX

UN FILM 

Paris, Texas, de Wim Wenders

UN LIVRE 

La vie devant soi, d'Émile Ajar (Romain Gary)

UN DISQUE 

Things We Lost in the Fire, de Low

UN PERSONNAGE HISTORIQUE 

Voltaire

UN PERSONNAGE CONTEMPORAIN

Jello Biafra (de son vrai nom Eric Reed Boucher), ex-chanteur du groupe Dead Kennedys, homme politique et militant écologiste américain 

UNE PHRASE 

« C'est en touchant le fond que l'on refait surface : toute la vie est dans cette parabole. »

- Claude Lelouch

UNE CAUSE QUI VOUS FERAIT MANIFESTER DANS LA RUE 

« L'égalité raciale, de sexe et d'orientation sexuelle. » Et sur la pancarte, il serait écrit : « Tous égaux, du début à la fin ! »