Le puissant narcotrafiquant mexicain El Chapo voulait faire tuer des gens au Canada et les Hells Angels étaient pressentis pour mettre à exécution ses plans. Dans sa ligne de mire : un agent d'immeubles québécois soupçonné d'avoir volé le cartel du Sinaloa et la patronne d'une agence d'escortes liée à l'élite politique et militaire du Mexique.

C'est ce qu'a raconté un délateur mardi à Brooklyn, dans le cadre du procès de Joaquín Guzmán, dit El Chapo, considéré par les autorités américaines comme le plus gros trafiquant de drogue de la planète jusqu'à son extradition vers les États-Unis en 2017. Ce dernier est accusé d'une kyrielle de chefs liés à la gestion de son empire milliardaire de la drogue, dont des dizaines de meurtres.

Le délateur Alex Cifuentes, décrit comme l'ancien bras droit d'El Chapo, était notamment responsable des exportations vers le Canada entre 2008 et 2013.

Il a raconté mardi que son patron était fâché contre Stephen Tello, agent d'immeubles originaire de Laval, qui travaillait pour le cartel au Canada dans le cadre de projets d'importation de cocaïne.

« J'avais reçu plusieurs plaintes de Joaquín [...] qu'il volait au Canada. Il volait le produit et le profit de la vente de drogue », a expliqué le délateur, selon les notes sténographiques de son témoignage obtenues par La Presse.

Selon le témoin, d'autres employés de l'organisation au Canada se plaignaient de Tello, si bien que le baron de la drogue a décidé de faire assassiner le Québécois.

Tello était souvent allé rencontrer ses patrons du cartel du Sinaloa au Mexique. Alex Cifuentes a donc tenté de l'attirer dans un piège. Mais l'agent d'immeubles a semblé se méfier.

« J'ai essayé de le faire venir au Mexique, mais il refusait. »

- Le délateur Alex Cifuentes

Alex Cifuentes et El Chapo ont donc demandé à la femme de Cifuentes de trouver quelqu'un au Canada pour tuer Stephen Tello. Cifuentes a aussi tenté de son côté de recruter des collaborateurs pour ses basses oeuvres.

« J'avais des rendez-vous prévus avec les Hells Angels, et c'était probablement à travers eux que j'aurais fait ça », a-t-il expliqué, tout en précisant qu'il s'était déjà rendu au Canada pour affaires et qu'il avait déjà reçu des partenaires canadiens à son repaire de Culiacán, au Sinaloa.

Se débarrasser de quelques kilos

Comment Stephen Tello en était-il venu à travailler pour El Chapo au Canada ? Le délateur ne l'a pas expliqué.

Né au Québec de parents colombiens, Stephen Tello a grandi à Laval. Son père, qui gérait une entreprise d'import-export et se décrivait comme un consultant en projets internationaux, a fait faillite en 1999, selon des documents juridiques consultés par La Presse. Peu après, il est retourné vivre en Colombie dans la région de Cali. La mère de Tello est demeurée ici.

Après avoir fréquenté le Collège Vanier et l'Université Concordia à Montréal, Stephen Tello a travaillé pour une société de marketing et pour un courtier en métaux précieux. En 2011, il a déménagé dans la région de Toronto pour habiter avec sa nouvelle conjointe, mais il continuait à revenir fréquemment au Québec. Il est devenu agent d'immeubles et s'est joint à l'équipe Remax.

En 2015, il a été arrêté par la GRC pour sa participation à un complot d'importation de 1000 kg de cocaïne, échafaudé à Montréal et Toronto. La police estimait la valeur de la drogue à 42,5 millions. Au cours de l'enquête, Stephen Tello a vendu personnellement trois kg de cocaïne à un agent double qui avait infiltré son entourage. Il disait devoir se débarrasser rapidement de la drogue. Aujourd'hui âgé de 39 ans, il purge une peine de 15 ans de prison dans un pénitencier québécois.

Aux États-Unis, Stephen Tello fait aussi face à des accusations de complot pour importation de cocaïne en lien avec El Chapo. Selon le dossier de cour, le complot s'est échelonné entre 2008 et 2014.

Tuer immédiatement la secrétaire

Tello n'était pas la seule cible d'El Chapo au Canada. Tant qu'à embaucher des tueurs, le narcotrafiquant a eu l'idée de faire d'une pierre deux coups et de se débarrasser d'une autre personne qui l'irritait et qui devait se trouver dans le même pays.

« Joaquín a dit qu'ils pouvaient tuer aussi immédiatement la secrétaire, parce que c'était une menteuse », a expliqué le délateur Alex Cifuentes.

La « secrétaire », c'était Andrea Vélez Fernández. Patronne d'une agence de mannequins de Mexico, elle agissait aussi comme la secrétaire d'Alex Cifuentes. Elle s'occupait de transferts d'argent, achetait les systèmes de communication, organisait les rendez-vous de ceux qui souhaitaient avoir accès à El Chapo.

Elle avait séjourné à Toronto et New York, deux endroits où le cartel lui avait demandé de vérifier les prix au kilo de l'héroïne, de la cocaïne et de la méthamphétamine, à une époque où les relations du cartel avec les distributeurs locaux étaient perturbées.

Toujours selon le délateur, Andrea Vélez Fernández fournissait des jeunes femmes de son agence de mannequins comme escortes pour des soirées de débauche avec des officiers supérieurs de l'armée mexicaine, ce qui pouvait être utile pour le cartel. Elle aurait même été chargée personnellement de remettre 100 millions de dollars en pots-de-vin à Enrique Peña Nieto, président du Mexique de 2012 à 2018 (M. Peña Nieto a nié avoir reçu l'argent).

Dans le cadre d'une autre mission, on lui avait demandé de remettre 10 millions de dollars à un général, afin de le convaincre de laisser El Chapo « vivre en paix ». Pour ce petit service, elle-même devait recevoir 1 million. Mais le plan a échoué.

« Elle n'a pas réussi, et le général détestait vraiment Joaquín », a expliqué le témoin. Le délateur affirme qu'El Chapo était furieux de cet échec et que c'est à ce moment qu'il a décidé de faire tuer la femme pendant qu'elle se trouvait encore au Canada.

En bout de ligne, aucune des deux cibles n'a été tuée. Alex Cifuentes a été arrêté avant de pouvoir exécuter les plans funestes de son maître. En prison, il a accepté de collaborer avec la justice et de tout révéler ce qu'il savait.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

En 2015, Stephen Tello a été arrêté par la GRC pour sa participation à un complot d'importation de 1000 kg de cocaïne, échafaudé à Montréal et Toronto.