Les malfaiteurs ont dérobé pour 700 000 $ d’équipement après une « location frauduleuse »

Les studios MELS ont été victimes en juin dernier d’un vol majeur d’équipement cinématographique d’une valeur estimée à près de 700 000 $ et dont le scénario rocambolesque aurait pu être tourné à même ses locaux. L’entreprise met tout en œuvre pour en retrouver les auteurs, mais ses chances de réussite sont minces, estime un expert.

Une fausse entreprise créée quelques jours avant, de fausses cartes d’identité : le stratagème employé par les malfaiteurs était élaboré, conclut-on à la lecture de documents judiciaires déposés au palais de justice de Montréal ces dernières semaines.

Début juin, les studios MELS reçoivent par courriel une demande d’un homme qui « s’intéressait particulièrement à la location de lentilles Cooke anamorphiques », un équipement haut de gamme utilisé dans les plus grosses productions américaines.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE COOKE OPTICS

Une lentille Cooke anamorphique

Des échanges s’ensuivent entre les parties pour régler les détails : « conditions de location à remplir, obtention d’un certificat d’assurance, paiements préalables exigés ».

Cette dernière condition est d’ailleurs remplie le 19 juin, lorsqu’une entreprise du nom de Productions O.M.S. verse la somme de 6519 $ aux studios MELS afin d’officialiser l’affaire.

Une déclaration « complètement fausse »

Le lendemain, l’individu supposément à l’origine des courriels se présente à la guérite des studios pour récupérer l’équipement qu’il doit rendre six jours plus tard, le 26 juin.

La confiance règne visiblement entre les deux parties puisqu’à cette date, les studios MELS acceptent de prolonger le prêt et même de fournir une autre série de six lentilles, toujours à la condition d’un paiement fait à l’avance. Cette fois, deux complices du premier individu, présentés comme ses techniciens, viennent récupérer les articles censés être rapportés le 3 juillet.

À cette date, constatant que les lentilles d’une valeur estimée à environ 700 000 $ n’ont pas été rapportées, les studios MELS contactent leur partenaire d’affaires, qui leur assure les avoir rendues deux jours plus tôt. Une affirmation « complètement fausse », soulignent les studios MELS dans des documents judiciaires.

C’est la dernière fois que l’entreprise, propriété du Groupe TVA, aura été en contact avec les malfaiteurs.

Un cul-de-sac

Une plainte est alors déposée auprès du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui dépêche le lendemain un agent sur place. Ce dernier leur apprend que le permis de conduire vraisemblablement présenté par l’individu à l’origine du prêt pour la location est en fait un faux et que l’identité de l’homme qu’il prétendait être, un résidant de Trois-Rivières, aurait été usurpée.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La location frauduleuse faite auprès des studios MELS aurait eu lieu le 26 juin.

Joint mardi, le SPVM a refusé de confirmer qu’une plainte avait été déposée ou qu’une enquête avait été ouverte « afin de ne pas nuire à son déroulement ».

Dans l’espoir de retrouver leurs lentilles, les studios MELS ont confié l’affaire à leur service juridique le 5 juillet dernier. Le surlendemain, leurs avocats se sont tournés vers la firme de sécurité privée SIRCO « afin d’identifier et de localiser toutes les personnes impliquées dans cette fraude et ce vol, dans l’espoir de récupérer l’équipement de grande valeur qui [leur] a été volé ».

L’une des pistes d’enquête suivies par SIRCO était liée aux virements bancaires effectués par les individus à l’origine du vol, quelques jours avant qu’il ne soit constaté.

Or, en se présentant à l’adresse des Productions O.M.S., l’entreprise ayant effectué les paiements, inscrite au Registre des entreprises, ils se retrouvent face à un cul-de-sac. Aucune trace de son propriétaire ni de l’entreprise dans cet immeuble d’appartements anonyme de Montréal-Nord.

Forcer la main à la BMO

Seule option restante : obtenir de la Banque de Montréal (BMO), où a été ouvert le compte ayant servi à faire les deux paiements, les coordonnées de son propriétaire. Or, la directrice de la succursale où est enregistré le compte ne répond pas aux courriels des enquêteurs.

Dans l’espoir de débloquer l’affaire, les studios MELS ont donc déposé en Cour supérieure une demande d’injonction de type « Norwich ». Ce type de requête vise à forcer un tiers, dans ce cas-ci la BMO, à communiquer des informations qu’elle détient relativement à un individu.

Comme la banque ne s’y est pas opposée, l’injonction a été accordée par le juge Enrico Forlini jeudi dernier. C’est ainsi que l’affaire est devenue publique.

Les studios MELS espèrent entre autres pouvoir mettre la main sur des images de caméras de surveillance de l’homme à l’origine du stratagème ou de ses complices dans le cas où ceux-ci se seraient présentés en personne pour ouvrir le compte.

« Nous confirmons que MELS a fait l’objet d’un vol à la suite d’une location frauduleuse d’équipements. Nous continuons nos démarches et collaborons avec les autorités afin de retrouver les voleurs. Nous déploierons tous les efforts nécessaires pour y arriver », a déclaré la direction des studios MELS mardi soir en ajoutant que l’évènement n’avait « aucun impact sur les opérations de MELS ».

Le mal est déjà fait

Mais selon le président de la maison de production Cinéfilms, Christian Racine, informé des détails de l’affaire comme bien d’autres dans le petit monde de la location d’équipement cinématographique de pointe, le mal est déjà fait.

« D’après moi, [les lentilles] sont déjà utilisées sur une autre production », dit-il, convaincu qu’elles sont maintenant en Asie ou en Europe de l’Est, où se trouvent des industries cinématographiques florissantes, mais en manque de moyens.

Ils ont la production, mais pas les budgets. Ils offrent du clés en main : studios, caméras, techniciens. Il leur manquait sûrement les lentilles, mais ils n’ont pas 700 000 $.

Christian Racine, président de la maison de production Cinéfilms

Mardi, sur le site de l’entreprise Cooke, fabricant de six des lentilles volées au studio MELS, les numéros de série de celles-ci apparaissaient tout en haut d’une longue liste d’articles de ce genre volés aux quatre coins du monde. Londres, Berlin, New York, Los Angeles, partout cet équipement haut de gamme semble faire l’envie des voleurs.

« D’après moi, il y avait une demande pour ça. C’était un coup monté, ils se sont préparés sûrement des semaines ou des mois à l’avance, un peu comme dans les films, comme dans Mission impossible », soupire Christian Racine.

Les studios MELS en bref

  • MELS comprend 20 studios de tournage situés à Montréal, Saint-Hubert et Québec. Certains sont parmi les plus grands en Amérique du Nord.
  • De grandes productions telles que X-Men : Dark Phoenix – à l’international – et Bon Cop, Bad Cop, au Québec, y ont été tournées.
  • L’entreprise offre aussi un large stock d’équipement de production et propose la conception d’effets visuels et des services de postproduction, notamment.
  • En 2014, le Groupe TVA a acheté les studios MELS pour 118 millions de dollars.
  • En juillet 2021, Groupe TVA a annoncé la construction du studio MELS 4 dans le but d’attirer des mégaproductions et des séries étrangères.

Lila Dussault, La Presse