Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) n’avait pas le droit de congédier un procureur handicapé sans procéder à un exercice rigoureux d’accommodement, conclut la Commission de la fonction publique. La plainte pour harcèlement psychologique du procureur a toutefois été rejetée.

MDavid Létourneau était procureur au Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales (BGCAS), l’équipe d’élite du DPCP, lorsqu’il a été congédié en février 2019. Selon le DPCP, ses diagnostics de TDAH et de douance constituaient une « contrainte excessive » à l’emploi.

Le procureur d’expérience a contesté devant la Commission de la fonction publique son congédiement « arbitraire, discriminatoire et illégal » en plaidant être porteur d’un handicap au sens de la Charte québécoise. Son handicap était d’ailleurs bien connu de l’employeur à son embauche en 2018. Il avait par ailleurs été procureur fédéral pendant six ans.

Quatre ans plus tard, après 30 jours d’audience et le dépôt de 340 documents, le juge administratif Mathieu Breton lui a donné raison et a annulé son congédiement, en mai dernier.

Pour congédier Me Létourneau, le DPCP devait prouver que ses limitations fonctionnelles et les accommodements demandés représentaient une contrainte excessive pour l’organisation. Or, le DPCP n’a pas analysé « de manière exhaustive et rigoureuse » si Me Létourneau pouvait occuper un autre poste au sein du DPCP, qui compte 600 procureurs.

« Le DPCP a failli à cette obligation en raison d’un examen trop limité et superficiel », conclut le juge administratif.

À l’époque, le DPCP n’avait pas de description d’emploi pour l’ensemble de ses postes de procureur. Même si cela aurait été long à réaliser, le DPCP aurait dû rédiger des descriptions de tâches pour tous ses postes pour vérifier s’il était possible d’accommoder Me Létourneau. Il n’était pas suffisant pour l’employeur de demander l’opinion de gestionnaires, estime le juge administratif.

Droit de gestion raisonnable

Dans un autre volet, Me Létourneau affirmait avoir été victime de harcèlement psychologique de la part de ses supérieures, la procureure en chef de l’époque, Josée Grandchamp (maintenant retraitée), et les procureures en chef adjointes Betty Laurent et Julie Desbiens (nommée juge à la Cour municipale en février dernier).

À l’été 2018, les patronnes de Me Létourneau lui ont demandé de rédiger un avis juridique sur un dossier. Le procureur croyait que cela lui prendrait seulement quelques jours. Or, il a mis plusieurs semaines à exécuter la tâche. Entre-temps, la tension a monté d’un cran entre ses gestionnaires et lui, alors qu’il prenait de nombreux congés. Ses supérieures ont alors réclamé sa présence « plus constante » au bureau.

Me Létourneau s’est même plaint directement à la directrice du DPCP des « pressions indues et abusives » devenues « insoutenables » de la part de ses patronnes.

« Il y a une différence importante entre le fait de se sentir harcelé et celui de l’être véritablement », indique d’emblée le juge administratif. Il conclut que Me Létourneau n’a pas été harcelé psychologiquement par ses supérieures. Celles-ci sont « demeuré[e]s dans les limites d’un droit de gestion raisonnable », soutient-il.

Le juge administratif estime que les absences de Me Létourneau pendant une courte période pouvaient soulever des « questionnements légitimes » pour l’employeur. Ainsi, ce n’était pas du harcèlement psychologique de lui refuser des congés et de réclamer un billet médical pour toute absence.

« La gestion de l’employeur a été parfois ferme, mais elle n’était pas belliqueuse, agressive ou menaçante », conclut le juge administratif.

L’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales, qui a représenté Me Létourneau, se dit « satisfaite » par la décision, rendue au terme d’un « chemin de croix ».

« C’est important : il faut accommoder et faire en sorte d’intégrer et de réintégrer les personnes. C’est un droit. Il faut que l’employeur fasse tout son possible. On est en train de voir les changements apparaître », a expliqué à La Presse MAndy Drouin, vice-président de l’Association.

Le DPCP a indiqué à La Presse avoir « pris acte » de la décision et ne pas avoir d’autres commentaires à formuler en raison des obligations de confidentialité. Le DPCP n’a pas demandé de révision de la décision.