La Cour supérieure autorise une action collective contre l’État québécois, qui n’aurait pas adéquatement soutenu les victimes d’actes criminels commis au Nunavik, où une infime partie d’entre elles ont été indemnisées.

« Il n’est ni contesté ni contestable qu’entre 2013 et 2020, au Nunavik, l’État a versé des indemnités dans un nombre objectivement infinitésimal » de cas de crimes contre la personne, peut-on lire dans la décision du juge Lukasz Granosik, rendue le 1er décembre.

La Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (LIVAC) et la Loi sur l’aide aux victimes d’actes criminels (LAVAC) ont accordé une série de droits aux victimes et d’obligations envers elles pour l’État, y compris le droit d’être accompagnée, soutenue et informée. En principe, les victimes de toute la province peuvent s’en prévaloir, mais ce n’est pas ce qui se produit en réalité. (La LIVAC et la LAVAC ont été remplacées en 2021 par la Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement).

« Entre 2013 et 2019, environ 80 000 crimes contre la personne ont été rapportés annuellement au Québec », et environ 7000 victimes ont reçu des indemnités, note le jugement.

Au Nunavik cependant, « l’État n’a versé que 86 indemnités pour les 40 868 crimes contre la personne qui ont été rapportés sur ce territoire » sur la même période. « Or, si le Nunavik avait le même pourcentage que le reste du Québec on aurait dû s’attendre à plus de 3000 dossiers d’indemnisation. »

Manque de soutien « discriminatoire »

La demanderesse, désignée comme représentante du groupe qui pourrait bénéficier de l’action collective, allègue que « cette situation est une conséquence directe du manque de soutien et constitue une faute laquelle relève des services gouvernementaux ».

Elle-même a été victime de quatre crimes contre sa personne. Elle affirme que, bien qu’elle ait collaboré avec les autorités lors des enquêtes et des procès liés à ces crimes, elle n’a jamais été informée de l’existence du régime d’indemnisation, dont elle n’a été mise au courant que des années plus tard, en 2021, lorsqu’elle envisageait une poursuite civile contre l’un de ses agresseurs.

« Il est manifeste que si le contexte factuel avancé par la demanderesse était démontré, il peut y avoir responsabilité », écrit le juge Granosik dans une décision de 20 pages.

Le groupe, défini comme toute personne qui « n’a pas été soutenue par l’État et ses représentants afin de bénéficier du régime d’indemnisation public » prévu à la LIVAC après avoir été victime d’un crime contre la personne au Nunavik, pourrait englober des milliers de personnes. Celles qui n’ont pas rapporté les crimes dont elles ont été victimes aux autorités et celles qui ont été victimes de crimes avant le 1er mars 1972 — la date de création du régime d’indemnisation — en sont toutefois exclues.

Les membres peuvent enfin plaider la discrimination en vertu des chartes québécoise et canadienne des droits de la personne puisque les Inuits comptent pour environ 90 % de la population du Nunavik. Les statistiques sur l’accès à l’indemnisation dans ce territoire démontrent à première vue une différence de traitement en fonction de motifs de discrimination prohibés, soient la race et l’ethnie. La Cour n’écarte pas non plus la possibilité d’octroyer des dommages punitifs s’il est prouvé que l’inaction de l’État dans ce dossier équivaut à une atteinte intentionnelle aux droits des membres du groupe.

Le juge Granosik rejette les arguments du Procureur général du Québec, qui contestait notamment la définition du groupe et la compétence de la Cour dans ce litige. Il soutenait aussi que « le défaut éventuel par le gouvernement de publiciser les services et règles applicables ne peut constituer une faute civile ».

« L’État doit répondre des obligations qu’il s’est imposées explicitement et expressément à lui-même », rétorque la Cour supérieure.

La demanderesse réclame 1000 $ en dommages-intérêts moraux par crime subi pour chaque membre du groupe, en plus de 10 000 $ chacun pour la discrimination qu’ils auraient vécue. Cela pourrait représenter des dizaines de millions de dollars si elle a gain de cause sur le fond. La date des audiences à ce sujet reste à fixer et pourrait attendre des mois, voire des années.

MLouis-Nicholas Coupal, l’un des avocats de la demanderesse, se dit satisfait de la décision. La prochaine étape consiste à publiciser le recours auprès des membres potentiels du groupe. Des avis dans les médias seront publiés à cette fin, et des « agents de liaison » ainsi que des membres des communautés seront mis à contribution dans les prochaines semaines.

Invité à réagir, le ministère de la Justice du Québec ne fait pas de commentaire « par respect pour le processus judiciaire ».

MThi Hong Lien Trinh et MMarie-Hélène Hébert représentent le Procureur général dans ce dossier, tandis que MVictor Chauvelot était aux côtés de MCoupal avec la demanderesse.