Déprogrammé à la dernière minute dans la foulée du déclenchement de la guerre en Ukraine, l’auteur d’un documentaire sur sa Russie natale poursuit l’entreprise québécoise de ciné-conférences Les Grands Explorateurs.

Dans le cadre d’une demande introductive d’instance déposée le 6 juillet dernier au palais de justice de Montréal, le documentariste Michel Drachoussoff et son entreprise, Dravision SPRL, tous deux établis en Belgique, réclament 49 350 $ au producteur et diffuseur de ciné-conférences bien connu au Québec.

Selon ce qui y est avancé, M. Drachoussoff a signé le 15 avril 2021 un contrat avec Les Grands Explorateurs en vue de la diffusion du lancement d’une ciné-conférence autour de son film intitulé Ma Russie à compter du 25 mars 2022.

« Michel Drachoussoff, russe d’origine, vous présente les aspects les plus beaux de la Russie ancienne, avec ses cités grandioses, ses palais, ses cathédrales, ses fêtes populaires », entend-on dans une bande-annonce du film disponible en ligne.

Or, le 14 mars, trois semaines environ après l’invasion du territoire ukrainien par l’armée russe, le directeur général et fondateur des Grands Explorateurs, Serge Martin, apprend à Michel Drachoussoff qu’il ne diffusera pas son documentaire comme prévu.

« Nous ne pouvons présenter ton film dans le contexte actuel avec ce qui se passe en Ukraine depuis le 24 février, date où la Russie a envahi l’Ukraine avec sa puissante armée. Je suis désolé pour toi [mais] on se reprendra une autre fois dans un contexte plus propice », lui écrit-il dans un courriel déposé en preuve.

Nonobstant la guerre

Dans une mise en demeure envoyée aux Grands Explorateurs le 21 mars dernier, les avocats de Michel Drachoussoff indiquent toutefois qu’ils n’entendent pas en rester là.

Vos obligations découlant [du contrat] sont exécutoires nonobstant la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Notre client a rempli toutes ses obligations en vertu [du contrat] et rien ne vous empêche d’exécuter les vôtres.

Extrait de la mise en demeure envoyée aux Grands Explorateurs

À ce moment Ma Russie est « prête pour diffusion, et ce, malgré votre plus récente demande d’y réintégrer une partie portant sur les exactions de la Tcheka (NKVD), ancêtre du KGB et les atrocités commises dans le cadre du GOULAG, séquences que vous aviez censurées quelques jours avant l’enregistrement du film et de son commentaire pour des raisons commerciales et d’image de marque ».

Or, au moment du dépôt de la demande introductive d’instance, le 6 juillet dernier, l’entreprise « omet ou néglige toujours de verser » la somme prévue au contrat signé en 2021, affirment les avocats.

Pour punir Poutine

Les Grands Explorateurs avaient d’abord défendu leur décision de diffuser Ma Russie avant de finalement déprogrammer l’œuvre dans la foulée du début du conflit en Ukraine.

C’est du moins ce que nous apprend une lettre envoyée à ses abonnées dans laquelle l’entreprise se questionnait sur la demande de « certains » d’annuler la diffusion du film de Michel Drachoussoff « pour punir [le président russe, Vladimir] Poutine ».

Pourquoi confondre la Culture ancestrale d’un peuple (qui par ailleurs a subi bien des malheurs dans son histoire) avec la décision guerrière de son dirigeant actuel ? […] Doit-on cesser d’écouter Beethoven ou Mendelssohn pour marquer son opposition à l’idéologie nazie ?

Extrait d’une lettre envoyée aux abonnés des Grands Explorateurs

Par ailleurs, Ma Russie « est le résultat du travail de plusieurs années d’un cinéaste-conférencier que nous avons reçu régulièrement depuis 1979 », écrit l’auteur de la lettre, dont l’identité n’est pas précisée dans le document déposé devant la cour.

« Libre à ceux qui veulent “punir Poutine” de ne pas regarder la ciné-conférence (axée exclusivement sur la culture et l’histoire de la Russie jusqu’à la chute du communisme). Mais libre aussi à ceux qui veulent avoir un autre regard sur ce pays à la culture millénaire, de découvrir ce film », conclut-il.

« C’est la situation qui a évolué »

Mais, en entrevue, le directeur général et fondateur des Grands Explorateurs, Serge Martin, prétend aujourd’hui le contraire. Présenter le film Ma Russie revenait à prendre parti en faveur de l’envahisseur, dit-il.

Tu ne laisses pas quelqu’un massacrer tout un peuple comme si de rien n’était et prendre parti pour celui qui envahit l’Ukraine.

Serge Martin, directeur général et fondateur des Grands Explorateurs

« C’était clair que de continuer à vouloir présenter les films, au moment où une guerre se déclenche, tu comprends qu’il y a un massacre qui se prépare, alors [la décision à prendre,] c’était de ne pas poursuivre dans cette direction-là », a-t-il ajouté.

Serge Martin se défend par ailleurs de ne pas avoir respecté la nature du contrat signé avec Michel Drachoussoff. « C’est la situation qui a évolué. Je ne peux pas être responsable de la situation », estime-t-il, tout en qualifiant la situation entourant la diffusion du film Ma Russie de « pas gérable ».

Ni Michel Drachoussoff ni ses avocats n’ont répondu aux appels et aux courriels de La Presse lundi.

En savoir plus
  • 1972
    Année de fondation des Grands Explorateurs, qui produit et diffuse des ciné-conférences de voyages et d’aventures présentées dans des salles de spectacle à travers le Québec
    Source : Les grands explorateurs