Un procureur de l’équipe d’élite du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) soutient avoir été injustement congédié en raison de son handicap, alors qu’il avait porté plainte pour harcèlement psychologique contre ses supérieures. Malgré les pressions « insoutenables » de celles-ci, il avait dénoncé des problèmes « déontologiques » dans certains dossiers.

En septembre 2018, la situation est si problématique que MDavid Létourneau alerte la directrice du DPCP, MAnnick Murphy. Il se plaint alors de « pressions indues et abusives » devenues « insoutenables » de la part de ses patronnes, la procureure en chef et une procureure en chef adjointe du Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales (BGCAS) du DPCP.

Selon une source, MLétourneau travaillait à l’époque sur d’importantes enquêtes visant SNC-Lavalin et les déversements illégaux de sols contaminés. Cette dernière enquête n’a débouché sur aucune accusation majeure.

Six mois plus tard, le procureur d’expérience a perdu son emploi au DPCP, non pas en raison de sa performance de travail, mais en raison de la « contrainte excessive » que présentent ses « limitations fonctionnelles permanentes ». Ses « diagnostics » étaient pourtant connus au moment de son embauche, en avril 2018. Sa lettre de « rupture du lien d’emploi » est signée par MAnnick Murphy.

Depuis plus de deux ans, MDavid Létourneau conteste devant la Commission de la fonction publique son congédiement « arbitraire, discriminatoire et illégal » en plaidant être porteur d’un handicap au sens de la Charte québécoise.

Il affirme être en mesure d’exercer son travail et reproche au DPCP de n’avoir tenté aucun accommodement. Selon ses avocats, il a reçu des diagnostics de TDAH et de douance, des handicaps de type « neurologique ».

Au terme d’un procès passé sous le radar, les plaidoiries des parties sont prévues ce jeudi et vendredi. Des zones grises demeurent toutefois en ce qui concerne le contexte et les détails des allégations de MLétourneau, puisque de strictes ordonnances imposées par le juge nous empêchent d’avoir accès aux pièces et de publier le contenu des témoignages.

Les rares documents publics soulèvent cependant des interrogations sur le dysfonctionnement au sein de cette équipe de procureurs affectés aux grandes enquêtes contre le crime organisé, les élus ou les fraudeurs de haut calibre. La Presse rapportait d’ailleurs en 2020 des problèmes de gestion au sein du BGCAS et la perte de 60 procureurs en cinq ans.

Harcèlement psychologique

Dans son recours, mené par l’Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (APPCP), MLétourneau affirme avoir été victime de harcèlement psychologique de la part de ses supérieures, la procureure en chef de l’époque, Josée Grandchamp (maintenant retraitée), et les procureures en chef adjointes Betty Laurent et Julie Desbiens (maintenant au Bureau de service-conseil). Il avait d’ailleurs formellement porté plainte contre celles-ci avant son renvoi.

« MLétourneau a été victime d’une gestion abusive et discriminatoire […] dans un contexte où [il] a soulevé, malgré des pressions de la part de gestionnaires, plusieurs problématiques de nature déontologique et professionnelle dans certains dossiers dans lesquels il a agi », soutient son avocate dans l’avis de mésentente déposé le 20 mars 2019.

« La toile de fond derrière ce congédiement mérite d’être minutieusement scrutée par la Commission de la fonction publique », insiste alors le camp de MLétourneau.

Il s’agit de « sérieuses accusations quant à la conduite supposément hostile, vexatoire, discriminatoire et même abusive » de MLaurent et MDesbiens, soutient l’avocat des deux procureures en chef adjointes dans un document daté de juillet 2020.

On comprend des rares documents rendus publics que la procureure en chef du Bureau a demandé à MLétourneau en 2018 de « cesser certains comportements » et d’être plus présent au bureau. Elle lui reprochait alors son manque assiduité et son non respect des horaires. MLétourneau s’est ensuite plaint de devoir fournir un billet médical pour toute absence maladie. C’est par la suite qu’il a dénoncé une situation « insoutenable » auprès de la directrice, MMurphy.

« La Commission estime que l’avis de mésentente en matière de harcèlement psychologique vise la gestion qui serait abusive par le DPCP de MLétourneau en matière d’assiduité, de justification de ses absences et de présence au bureau », affirme le juge administratif Mathieu Breton dans une décision interlocutoire d’octobre 2021.

L’APPCP et le DPCP n’ont pas voulu commenter le dossier en raison du processus judiciaire en cours.