(Québec) Carl Girouard n’était « fort probablement » pas victime d’une psychose au moment d’attaquer sept passants innocents avec son sabre, mais plutôt en train de réaliser une « quête narcissique » pour se venger de la société qui l’avait rejeté.

Voilà en somme le témoignage qu’a livré le psychiatre Sylvain Faucher jeudi dans le cadre du procès pour meurtre de Girouard. L’expert de la Couronne conclut qu’il est « fort improbable » que le tueur ait été aux prises avec des idées délirantes le 31 octobre 2020 dans le Vieux-Québec.

Le psychiatre habitué aux expertises légales a détaillé son raisonnement pendant plusieurs heures. Selon lui, l’évolution de Carl Girouard au fil des ans n’est pas celle d’un schizophrène.

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Carl Girouard

Et une fois sa « mission » accomplie, les idées délirantes de Girouard sont disparues subitement en détention, ce qui ne cadre pas avec un tel diagnostic.

« Il tasse le mauvais Carl et le mauvais Carl ne revient plus, et cela sans un grain d’antipsychotique encore. Est-ce que c’est possible ? Peut-être, mais pour moi, c’est exceptionnel », a expliqué le DFaucher.

J’ai 26 ans de carrière et je n’ai jamais vu ce phénomène survenir. Quand ça survient, c’est qu’il n’y avait pas d’idées délirantes ou [que] les idées délirantes venaient d’une substance que la personne avait ingérée.

Le psychiatre Sylvain Faucher, au sujet de Carl Girouard

Cet élément représente pour cet expert « la plus grande improbabilité, l’élément principal qui ne soutient pas la présence d’une schizophrénie ».

Responsabilité criminelle

Depuis des jours, des experts de la Couronne et de la défense exposent leurs analyses divergentes au palais de justice de Québec. La responsabilité criminelle de Carl Girouard est au cœur du procès. L’accusé a déjà reconnu avoir tué deux piétons innocents et en avoir blessé cinq autres le soir de l’Halloween 2020. Mais il plaide la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.

Le psychiatre Gilles Chamberland a déjà expliqué au jury plus tôt cette semaine pourquoi, selon lui, le tueur n’était pas responsable de ses gestes. Le DChamberland estime que l’accusé souffrait d’une psychose et était victime d’un délire au moment des faits.

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Le katana utilisé par Carl Girouard

« Historiquement, moi et le Dr Chamberland, on arrive aux mêmes conclusions. Je pense que c’est la deuxième fois seulement qu’on n’est pas d’accord », a noté le DFaucher.

Lorsqu’il étudie le parcours de l’accusé, le psychiatre n’arrive pas à percevoir le « glissement » ou le « prodrome » qui sont communs aux schizophrènes.

Girouard n’a pas soudainement changé vers l’âge adulte comme il l’aurait fait avec l’apparition de cette maladie. Il a plutôt continué d’être un être marginal, solitaire, rejeté et en colère contre la société.

Quand il ourdit son plan, il se garde d’en parler à sa famille, relève le psychiatre, qui a rencontré deux fois Carl Girouard.

On voit dans ses écrits qu’il comprend le caractère illégal de sa mission […] Il comprend que ça comprend des éléments amoraux, sinon il en aurait discuté avec sa famille.

Le psychiatre Sylvain Faucher, au sujet de Carl Girouard

Autre pièce maîtresse de sa thèse, le DFaucher a cité les travaux d’un autre expert de la Couronne, le neuropsychologue William Pothier. Ce dernier a fait passer un test de Rorschach au tueur. Sa conclusion ? Girouard n’avait pas de pensée psychotique.

« Un mode de pensée psychotique apparaît graduellement, mais après, ça reste là, qu’il soit traité ou pas. C’est persistant, ça ne va pas disparaître. Même 15 ans plus tard, on peut encore voir la pensée psychotique », a-t-il dit.

Une « quête narcissique »

Le DFaucher conclut qu’il est « fort improbable » que Carl Girouard soit schizophrène. Il croit plutôt que l’accusé de 26 ans cherchait une manière de se valoriser, de se mettre au-dessus des êtres communs, des « moutons », comme il les appelait.

« Cette quête narcissique lui permet d’exprimer tous ses ressentiments envers cette société qui l’a rejeté, parce qu’il ne correspondait pas à ses standards, a-t-il dit. Il cherche à se donner une valeur en se faisant un être d’exception, en commettant un acte inhabituel et spectaculaire. »

L’avocat de Carl Girouard va procéder au contre-interrogatoire du DFaucher ce vendredi.

Pour l’expert de la défense, le DGilles Chamberland, il est impossible de comprendre les agissements du tueur sans admettre qu’il était malade. « Si ce n’est pas un délire, je ne sais pas ce que c’est ! Il a couru après des personnes désarmées avec un sabre, se pensant courageux. Et il était convaincu que les gens reconnaîtraient son courage », avait dit aux jurés plus tôt cette semaine ce psychiatre de l’Institut Philippe-Pinel.