(Québec) Le tueur au sabre du Vieux-Québec souffre d’un trouble de la personnalité narcissique, selon un expert de la Couronne, et a développé au fil du temps une vision du monde antisociale où « certaines personnes avec des qualités devraient survivre », mais plusieurs personnes malades « devaient mourir ».

« J’exclus le trouble psychotique primaire comme la schizophrénie, c’est un trouble peu probable, au profit plutôt d’un trouble de la personnalité narcissique et d’un trouble de la personnalité évitante », a résumé lundi le neuropsychologue William Pothier, de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec.

Après avoir passé près de sept heures en compagnie de Carl Girouard, l’expert mandaté par la Couronne n’arrive pas à la même conclusion que le psychiatre Gilles Chamberland, expert de la défense.

Le DChamberland pense que l’homme de 26 ans souffre de schizophrénie et était victime d’une psychose au moment de son carnage. Il conclut que Girouard ne pouvait distinguer le bien du mal car il était possédé par un délire aggravé par le cannabis et les jeux vidéo. Il est, selon lui, non criminellement responsable.

« Il n’a pas été frustré par la société. Il n’a jamais dit qu’il avait de la colère envers la société, il a tout pris sur lui », a déclaré l’expert Chamberland au palais de justice de Québec.

En contre-interrogatoire lundi, la Couronne a fait écouter au jury une entrevue donnée par le DChamberland au lendemain de la tuerie dans une station de radio. L’expert explique en ondes que « tout porte à croire à une personne en psychose ».

« Elles sont où, la réserve et la nuance, dans ça ? », a demandé le procureur de la Couronne, MFrançois Godin.

« Vous dites que je me suis fait une opinion, que j’étais dans le champ et que je ne l’ai pas changée », a rétorqué le DChamberland.

« Dans ce que j’ai vu [dans ce dossier], j’ai trouvé plein de choses qui m’ont confirmé mon opinion, alors pourquoi j’aurais changé d’opinion ? »

De « rejet » à persécuteur

La Couronne a ensuite appelé son premier expert, le neuropsychologue William Pothier. Celui-ci arrive à un constat bien différent. Contrairement au DChamberland, il estime que le tueur est narcissique et qu’il a développé des traits antisociaux. Il ne peut toutefois se prononcer sur la responsabilité criminelle de l’accusé, expertise réservée aux psychiatres.

« On voit dans l’élaboration de son plan à quel point chaque élément est tourné vers l’image qu’il va projeter dans ce scénario. La personne narcissique est obnubilée par l’image de soi », a-t-il dit en référence à la quête du tueur pour une arme et un déguisement « parfaits ».

Dès son plus jeune âge, Girouard est turbulent, mis à l’écart, et son estime de soi est affectée, note l’expert.

« Il est victime de rejet, mais vient à développer possiblement des idées, assez jeune, d’être un agresseur, un persécuteur, de changer le rôle, de ne plus être une victime des autres. Ça semble stimuler son sentiment de supériorité », a indiqué le DPothier.

Carl Girouard s’est isolé non pas parce que son délire prenait toute la place, comme l’a suggéré le DChamberland, mais plutôt pour protéger son estime de soi, croit l’expert de la Couronne. En étant mystérieux, le narcissique évitant se construit « un bouclier », porte « un masque pour cacher sa personnalité ».

Dans ce monde imaginé, Carl Girouard se sent supérieur aux autres, qu’il qualifie de moutons, poursuit le neuropsychologue.

« Certaines personnes avec des qualités devraient survivre, mais les autres avec des maladies psychologiques ou physiques devraient être éliminées, explique le DPothier. Il se met dans un rapport de force, de supériorité par rapport aux autres. La pensée antisociale se cristallise vers l’âge adulte. »

L’analyse du neuropsychologue tranche ici aussi avec celle du DChamberland. Le psychiatre a répété au tribunal que, selon lui, Carl Girouard n’en voulait pas à la société et qu’il se blâmait lui-même pour son manque d’amis, son incapacité à lier des relations amoureuses et ses échecs scolaires.

Le choc des experts va se poursuivre mardi avec la fin du témoignage du DPothier. Les jurés vont aussi entendre cette semaine le psychiatre Sylvain Faucher, autre expert de la Couronne.

Carl Girouard a attaqué sept passants innocents le soir de l’Halloween 2020 dans le Vieux-Québec. Il a tué deux d’entre eux et en a blessé cinq autres. Il ne nie pas les gestes, mais plaide la non-responsabilité pour cause de troubles mentaux.