La juge en chef de la Cour du Québec en a assez d’être gardée dans le noir au sujet du mystérieux procès secret découvert récemment au Québec. Après avoir fait sans succès « toutes les vérifications possibles » pour découvrir l’identité du juge responsable de cette affaire hors norme, elle a déposé une requête judiciaire officielle afin qu’on lui transmette le dossier confidentiel.

« J’ignore toujours si cette affaire a été tranchée par la Cour du Québec, mais j’estime que la version caviardée du jugement publié le 23 mars dernier soulève des préoccupations importantes qui relèvent de mes fonctions », écrit la juge en chef Lucie Rondeau dans une lettre envoyée lundi matin à tous les juges de sa cour.

« Je demande donc à la Cour d’appel, entre autres, d’obtenir sous scellés l’information qui me permettra d’assumer les responsabilités découlant de mes fonctions, soit le dossier complet de première instance ou les éléments pertinents permettant de le reconstituer », poursuit-elle.

Le 25 mars, La Presse a révélé comment la Cour d’appel avait découvert la tenue au Québec d’un procès criminel secret dont toutes les traces avaient été effacées. L’accusé, un informateur de police, aurait été condamné pour un crime sans qu’un numéro de dossier soit inscrit au rôle des affaires traitées par la cour. Le jugement qui le condamnait ne portait pas de numéro de dossier et des témoins auraient été interrogés à l’extérieur de la cour, sans que les procédures soient archivées normalement au greffe d’un palais de justice.

« En somme, aucune trace de ce procès n’existe, sauf dans la mémoire des personnes impliquées », concluaient les trois juges du plus haut tribunal québécois chargés de réviser cette affaire.

La Cour d’appel avait déterminé que cet exercice était « contraire aux principes fondamentaux de la justice » et « incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale », mais elle n’avait pas rendu public le nom du juge qui y avait participé ni le district où il siège. La décision de la Cour d’appel citait toutefois le règlement de la Cour du Québec, ce qui amène plusieurs observateurs à croire que c’est cette cour qui est en cause.

Le juge ne s’est toujours pas manifesté

Mais malgré les sorties du ministre de la Justice, du juge en chef de la Cour supérieure, du Barreau et des partis de l’opposition, le juge qui a présidé ce procès secret ne s’est toujours pas manifesté.

La juge en chef de la Cour du Québec se dit donc incapable de découvrir son identité, malgré ses tentatives en ce sens. Elle demande donc à la Cour d’appel de lui transmettre sous scellés les informations qui lui permettront de le faire.

« L’intervenante a, après avoir pris connaissance de la version caviardée du jugement, effectué sans succès toutes les vérifications possibles auprès des différents juges ayant assumé des fonctions de gestion au sein de la Cour pendant la période susceptible d’être visée par la situation », précise sa requête. Si elle avait gain de cause, l’information pourrait lui être transmise sans que le dossier soit rendu public.

En parallèle, dans le cadre d’une démarche séparée, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a demandé à ses procureurs d’entreprendre des démarches pour que le nom du juge soit dévoilé au public.