Le major-général Dany Fortin, maintenant formellement accusé d’agression sexuelle pour des faits remontant à 1988, dit faire face à « l’épreuve la plus difficile » de sa carrière. Il compte se défendre devant les tribunaux contre ce qu’il appelle « un ennemi invisible ».

« J’ai eu l’honneur et le privilège de servir les Canadiennes et Canadiens pendant 36 ans, dans des circonstances et des endroits difficiles, incluant des zones de combat. Mais aujourd’hui, je me bats contre un ennemi invisible, un adversaire invisible. Et c’est l’épreuve la plus difficile de ma carrière », a-t-il expliqué devant le poste de police de Gatineau, mercredi matin.

Vêtu de l’uniforme militaire – et accompagné de sa conjointe ainsi que de son avocat –, M. Fortin a soutenu qu’il souhaitait « juste retourner travailler ». C’est lundi qu’il dit avoir été convoqué « à sa grande surprise » par le Service national d’enquête des Forces armées canadiennes (FAC) pour procéder à son arrestation.

En mai dernier, il avait été évincé de son poste de responsable de la campagne de vaccination au pays, dans la foulée du déclenchement d’une enquête de la police militaire pour inconduite sexuelle. « C’est une journaliste qui m’a informé de la nature générale de l’allégation dans la foulée de mon renvoi », a dénoncé l’accusé, qui affirme que sa famille et lui ont « vécu un cauchemar » en n’ayant « aucune information au sujet d’allégations, de résultats de l’enquête ou de charges possibles » dans les derniers mois.

Mon équipe d’avocats a tenté à répétition de contacter les procureurs pour obtenir l’information, mais sans succès. J’ai donc dû lire à mon sujet dans les médias sans capacité ni moyens de défendre mon nom.

Dany Fortin, major-général des Forces armées canadiennes

« Calcul politique »

Dany Fortin se dit maintenant « obligé » de poursuivre deux formes de recours judiciaires, « à contrecœur et à mes frais ». « Le premier est de me défendre vigoureusement contre l’accusation portée aujourd’hui en Cour criminelle. Le second est de demander à la Cour fédérale de considérer l’absence de procédures régulières tout au long de cette épreuve », a-t-il révélé.

Il dénonce que le chef d’état-major intérimaire de la Défense lui a dit et « confirmé dans ses notes personnelles » que la décision de le retirer de son poste « était le résultat d’un calcul politique ». « Moi, je veux juste retourner travailler. J’ai hâte de continuer à servir mon pays, dès que cet enjeu juridique sera résolu », a-t-il insisté, en remerciant la population « pour le soutien et la compréhension ».

Les avocats de Dany Fortin ont déposé une demande en juin dernier auprès de la Cour fédérale pour obtenir un contrôle judiciaire accéléré de la décision de le renvoyer de son poste à l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC), demandant l’annulation de la décision et sa réintégration à l’agence ou à un autre poste. L’homme affirme avoir reçu une évaluation de rendement exemplaire seulement trois jours avant d’être exclu de la campagne de vaccination et qu’il était « au sommet » de sa carrière, avec des attentes d’une promotion ou d’une autre opportunité à la fin de son mandat à l’ASPC.

Le premier ministre sortant Justin Trudeau n’a pas souhaité commenter la situation de Dany Fortin mercredi, mais a réitéré que « chaque femme et chaque homme qui choisit de server dans l’armée mérite d’avoir les ressources et l’appui nécessaire s’ils vivent des choses inacceptables ». « Nous savons qu’on doit transformer nos forces armées pour qu’elles soient à la hauteur de l’engagement de celles et ceux qui décident d’y servir », a-t-il dit, en parlant d’un « changement de culture à opérer ».

« On a pris des mesures concrètes depuis plusieurs années, mais évidemment, il reste encore beaucoup plus à faire », a-t-il ajouté, en rappelant que la lieutenante-général Jennie Carignan s’assure depuis avril de superviser les plaintes liées aux inconduites sexuelles dans l’armée. L’ex-juge de la Cour suprême Louise Arbour réalise aussi « un examen indépendant » du traitement des agressions sexuelles en milieu militaire.

« Camouflage », dit O’Toole

Depuis Québec, où il fait campagne mercredi, le chef conservateur Erin O’Toole n’a pas manqué de dénoncer « un camouflage sur les allégations d’inconduite sexuelle par le bureau de M. Trudeau ». « C’est totalement inacceptable, pour moi comme un ancien combattant, mais aussi comme un père », a-t-il noté. Il réclame notamment une enquête indépendante sur le cas de M. Fortin ainsi qu’un gel sur « les promotions et augmentations de salaire » des officiers généraux dans l’armée. « C’est le temps de mettre fin au camouflage à Ottawa », a-t-il martelé.

Au Bloc québécois, le chef Yves-François Blanchet a indiqué que « la question demeurera entière par rapport à la connaissance que le gouvernement avait de telles possibles accusations ». « La démonstration a été faite qu’au sein de l’armée, il y a eu un terrible aveuglement par rapport à un nombre très élevé de comportements inappropriés. Le fait qu’il y ait un processus judiciaire ne libérera pas le gouvernement de devoir rendre des comptes », a poursuivi le chef bloquiste, en se disant « étonné » que le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, soit encore en poste.

« Pour moi, ce qui est primordial dans cette question, c’est le message envoyé aux femmes, qui est qu’elles n’étaient pas écoutées, pas entendues. On a eu un cas de harcèlement sexuel qui est arrivé au bureau du premier ministre et du ministre de la Défense, et ils n’ont rien fait. C’est complètement inexcusable », a quant à lui dénoncé le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh.