C'est ce qu'Edgar Allan Poe aurait sans doute appelé un mystère insoluble. Depuis six décennies, un inconnu célébrait chaque année l'anniversaire de l'écrivain en déposant des roses et une bouteille de cognac à moitié vide sur sa tombe à Baltimore. Mais cette fois, le «Poe toaster» n'est pas venu, plongeant dans la perplexité ceux qui espéraient trouver un jour la clé de l'énigme.

Le mystérieux admirateur a-t-il rendu l'âme ou été victime d'un malheureux contretemps? Est-ce la fin de la tradition? Le conservateur de la maison musée de Poe, Jeff Jerome, restait désemparé devant le rendez-vous manqué de mardi. «Je ne sais pas ce qui se passe», avouait-il.

Le mystère s'épaissit donc, même si le nom de David Franks, un poète de Baltimore, amateur de canulars, a été cité. Âgé d'une soixantaine d'années, cet artiste passionné par Poe et connu pour ses performances grotesques, s'est éteint la semaine dernière. Mais rien ne permet de prouver qu'il s'agissait bien de l'admirateur inconnu.

Maître du macabre, considéré comme l'inventeur du roman policier moderne, Edgar Allan Poe, l'auteur des Histoires extraordinaire, né le 19 janvier 1809, est mort à Baltimore après s'être effondré dans une taverne à l'âge de 40 ans. Le rituel du «Poe toaster» remonte au moins à 1949, date à laquelle l'Evening Sun de Baltimore évoquait «un citoyen anonyme qui vient chaque année placer subrepticement une bouteille vide (d'une excellente marque)» contre la pierre tombale.

Depuis 1978, Jeff Jerome guettait chaque année le passage du «Poe toaster» au Westminster Hall and Burying Ground. Caché dans l'église presbytérienne avec quelques amis et fans de Poe, il épiait l'inconnu, silhouette vêtue de noir, au chapeau à large bord et à l'écharpe blanche, qui se glissait la nuit dans le cimetière pour déposer trois roses et le cognac avant de s'éclipser.

Une autre version existe, mais elle est contestée vigoureusement par Jeff Jerome. En 2007, Sam Porpora, ancien historien du Westminster Hall, avait affirmé être le «Poe toaster», disant en avoir eu l'idée à la fin des années 60 pour faire un coup publicitaire. Mais il change régulièrement de version et reconnaît que de toute façon quelqu'un avait repris depuis la tradition.

En 1993, le visiteur avait commencé à laisser des messages, dont l'un qui annonçait: «le flambeau va être repris». En 1998, une note laissait entendre que l'initiateur de la tradition était mort, laissant ses deux fils lui succéder.

En 2004, en pleine brouille entre la France et les États-Unis sur la guerre en Irak, le message précisait qu'il n'y avait «pas de place pour le cognac français» et que la bouteille avait été déposée avec une «grande réticence».