Il n’a pas 30 ans et bâtit son empire immobilier depuis 2017. Henry Zavriyev, notamment propriétaire de la désormais célèbre résidence Mont-Carmel, d’où 60 personnes âgées se battent devant les tribunaux pour ne pas être évincées, est probablement le spéculateur immobilier le plus connu au Québec.

En 2022, une enquête du Devoir a établi qu’Henry Zavriyev est propriétaire de 1000 logements, seulement à Montréal, dont au moins 4 immeubles sur le territoire de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Et pourtant, Christine Harrisson, cheffe de division aux permis et inspections de l’arrondissement, et Radia Zatout, inspectrice au dossier du 4790, rue Sainte-Catherine, disent toutes deux qu’elles ignoraient qui était M. Zavriyev lorsqu’il a acquis l’immeuble du 4790 Sainte-Catherine Est.

PHOTO TIRÉE DE SON COMPTE LINKEDIN

Henry Zavriyev

La « technique Zavriyev » est toujours la même, affirme MManuel Johnson, qui a défendu plusieurs locataires évincés par Henry Zavriyev : au cours des dernières années, 130 dossiers ont été ouverts contre lui au Tribunal administratif du logement. « La technique qu’il manipule très bien, c’est qu’il va cogner à la porte des locataires, il explique qu’il va y avoir des travaux, que ça va être l’enfer, et il propose un montant », explique MJohnson.

« Son modèle d’affaires, c’est d’acheter des blocs et de “renouveler” la population de locataires. Il rénove, et ensuite, il augmente le loyer substantiellement. C’est son pattern, c’est le modus operandi de ses opérations spéculatives », dit-il.

Et c’est payant. Ses transactions lui ont rapporté 13 millions de dollars au fil des ans, a calculé Le Devoir.

Car lorsque le prix des loyers augmente, la valeur de l’immeuble grimpe de façon importante, explique Martin Blanchard, du Regroupement des comités logement et associations de locataires. Des spéculateurs comme M. Zavriyev se servent ensuite de la valeur de leurs immeubles pour emprunter davantage, et acheter d’autres immeubles.

Le scénario s’est répété, exactement de la même façon, au 4790, rue Sainte-Catherine. Les tentatives d’éviction ont commencé en août. Au début de septembre, alors que l’incendie faisait encore rage dans l’immeuble, « au beau milieu du sinistre et de l’inondation causée par les [lances d’incendie] des pompiers », un huissier procédait à des évictions sur le trottoir, a constaté Annie Lapalme.

« On peut dire que c’est un méchant personnage. On peut déplorer le fait que son modèle d’affaires se fait aux dépens des gens vulnérables. Mais le plus important, c’est que la structure en place lui permet d’agir de cette façon », souligne l’avocat.

La morale de l’histoire, c’est qu’il y a de gros profits à faire rapidement, et la loi et la réglementation le permettent. Et tant que la loi le permet, il va continuer.

MManuel Johnson, avocat de locataires évincés

Et le projet de loi 31 ?

En théorie, le projet de loi 31 sur l’habitation mené par la ministre France-Élaine Duranceau, qui devrait être adopté au début de l’année 2024, vise à rendre les évictions injustifiées plus difficiles et plus coûteuses pour les propriétaires. Ainsi, le locataire qui ne répond pas à un avis d’éviction ne sera plus réputé avoir accepté. Ensuite, les compensations pour une éviction passent de 3 à un maximum de 24 mois de loyer. Enfin, la ministre affirme avoir « inversé le fardeau de la preuve » pour les locataires qui estiment avoir été évincés injustement, et qui voudraient poursuivre leur propriétaire devant le Tribunal administratif du logement. Par contre, pour obtenir des dommages punitifs supplémentaires, le locataire devra prouver la mauvaise foi du propriétaire, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Cependant, le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) estime que le projet de loi n’aura pas les effets escomptés. D’abord, parce que les compensations qui se donnent sur le marché lorsqu’un locataire quitte son logement sont souvent beaucoup plus élevées que 12 mois de loyer. « J’ai déjà vu des compensations aller jusqu’à 50 000 $ », relate Martin Blanchard, du RCLALQ. Ensuite, parce que le projet de loi rendra en fait beaucoup plus difficile pour un locataire, devant le TAL, d’obtenir des dommages punitifs. Prouver la mauvaise foi, « dans les faits, relève de l’impossible », affirme M. Blanchard.