Les fuites d’eau toxique ne sont pas le seul problème environnemental du centre de tri illégal G & R Recyclage de Kanesatake. Des inspecteurs y ont constaté des incendies sans flamme, des colonnes de fumée et des odeurs de brûlé qui émanaient des piles de détritus. Les pompiers se sont, dans un des cas, fait interdire l’accès par les propriétaires.

Au moins trois rapports officiels du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) font état de signalements de possibles incendies depuis 2019.

Le 22 mars 2020, un appel à Urgence-Environnement signale des odeurs nauséabondes qui pourraient avoir été causées par un incendie de matières résiduelles. « Des pompiers ont pu se rendre près du site, mais n’ont pas pu y entrer, un gardien sur place ne leur ayant pas permis l’accès », note alors l’inspecteur.

Un représentant du MELCC constate alors une « odeur extrêmement désagréable » et « un haut taux de dioxyde de carbone ».

Exactement une semaine plus tard, une nouvelle intervention d’Urgence-Environnement « s’est avérée nécessaire », après « un signalement à l’effet qu’une colonne de fumée s’échappait au-dessus du centre de tri ». Le MELCC fait mesurer la qualité de l’air et constate qu’« une concentration de sulfure d’hydrogène supérieure à la norme est dégagée dans l’atmosphère, provenant du centre de tri », mais aucun incendie n’est constaté.

Un des enquêteurs contacte alors Robert Gabriel, un des deux propriétaires du site, quelques jours plus tard, pour l’informer de son intention de vérifier avec un drone si l’incendie est bien éteint. M. Gabriel s’y oppose, affirmant que « les représentants du gouvernement du Québec ne sont pas les bienvenus sur ce territoire mohawk et il nous déconseille d’utiliser le drone pour prendre des photos du centre de tri », écrit alors l’enquêteur.

Le site de G & R Recyclage, autorisé par Québec en 2015, contient des milliers de tonnes de détritus de construction de toutes sortes, qui ont été empilés illégalement à deux endroits distincts du site. L’eau contaminée qui percole et s’accumule au pied de ces piles, appelée lixiviat, contient notamment des BPC, des hydrocarbures et de l’amiante, selon des rapports d’analyse fournis à La Presse par un comité de citoyens mohawks.

Ce lixiviat « représente toujours un contaminant susceptible de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l’être humain ou de porter autrement préjudice à la qualité de l’environnement, aux écosystèmes, aux espèces vivantes ou aux biens », souligne le rapport.

« À au moins 4 endroits différents, j’observe de la fumée qui se dégage de la pile no 1 ainsi que des matières résiduelles calcinées à la surface de celle-ci », note un enquêteur dans un rapport datant de décembre 2019. Le propriétaire du site affirme qu’il « surveille la situation, mais il n’a entrepris aucun correctif pour éteindre le feu », souligne-t-il.

Selon l’inspecteur en incendies Martin Nobert, président de l’Association des techniciens en prévention incendie du Québec, il n’est pas rare que des feux sans flamme se produisent dans des sites d’enfouissement. « C’est ce qu’on appelle de la combustion spontanée. Quand tous les ingrédients sont réunis, il peut y avoir production de chaleur. L’auto-échauffement va conduire ultimement à une combustion pleine », explique-t-il.

« Il va y avoir dégagement de flammes, et habituellement, les gens nous interpellent et ça prend une extinction. Tout dépendant des matières, du site, de la géographie des lieux, du type d’entreposage, il y a différents procédés et stratégies qui peuvent être appliqués et qui doivent être adaptés selon le risque et le type d’incendie », ajoute M. Nobert.

Le chef du service de prévention des incendies d’Oka, Sylvain Johnson, affirme pour sa part avoir déjà dû intervenir sur le site en 2016 parce qu’un groupe d’une quarantaine de Mohawks y faisait un feu de joie. Deux policiers de la Sûreté du Québec ont alors été autorisés à faire des vérifications, et le rapport fait état d’un « départ rapide pour éviter la chicane », indique M. Johnson.

Pompiers « pris au collet »

Les interventions de son équipe de pompiers sur l’ancien centre de tri sont à l’image de toutes celles que son service doit effectuer sur le territoire autochtone de Kanesatake : difficiles et délicates. Depuis 2004, les Peacekeepers, le corps de police autochtone, y a été démantelé, à la suite d’un pillage du poste de police par un groupe criminel, dont faisaient partie les propriétaires de G & R Recyclage, Robert et Gary Gabriel.

Dans le passé, j’ai des pompiers qui ont été pris au collet par les autochtones et se sont fait coucher à terre.

Sylvain Johnson, chef du service de prévention des incendies d’Oka

« En général, quand on va en haut [sur le territoire autochtone], c’est spécial. C’est pour ça qu’on rentre toujours avec la SQ, au cas où ça dégénère. Les jeunes autochtones, la population tranquille autochtone, sont contre ce qui se passe. C’est une clique [qui fait des problèmes]. On ne sait pas comment ils se parlent, mais aussitôt qu’il y a un évènement sur le territoire, ils arrivent, ils se regroupent, il y a souvent 70 à 80 autochtones autour de l’environnement. »

« Quand on va [pour intervenir] là où il y a des cabanes à pot, ils nous repoussent. Il y a déjà eu une entrée électrique qui a fondu et qui est tombée parce qu’ils demandaient trop de courant dans leurs installations, et ils nous ont demandé de quitter », assure M. Johnson.

Une quinzaine d’incendies suspects

L’ancien grand chef Serge Otsi Simon affirme pour sa part qu’une quinzaine d’incendies suspects sont survenus sur le territoire depuis que la maison de James Gabriel a été rasée par les flammes, en 2004. « C’est vraiment une préoccupation des gens, que s’ils se prononcent politiquement sur un enjeu qui va contre les intérêts de certaines personnes, leur maison va être incendiée. Les gens ont des craintes justifiées », affirme M. Simon.

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L’ancien grand chef Serge Otsi Simon

« On n’a pas de protection. La Sûreté du Québec n’offre aucune protection », ajoute-t-il.

Des courses illégales « à haute vitesse » ont aussi souvent lieu le soir sur la route 344, ajoute M. Simon. « Les gens ont peur de sortir dehors la nuit », affirme-t-il.

Depuis l’implantation de ces cabanes de revente de cannabis sur la route 344, dans un secteur où la vitesse limite est de 80 km/h, le nombre d’accidents de la route dans le secteur a fortement augmenté, dit Sylvain Johnson. En 2022 seulement, le service de sécurité incendie a répertorié 16 accidents sur le territoire autochtone, dont 2 nécessitant l’utilisation de pinces de désincarcération. « Pour une population de 1800 personnes, c’est beaucoup », constate M. Johnson.