Des tabagies du Québec s’unissent pour dénoncer la facilité avec laquelle les mineurs peuvent accéder à des produits de vapotage dans les boutiques spécialisées converties en dépanneurs depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’interdiction des parfums.

Un nouveau regroupement publiera sous peu un rapport, que La Presse a pu consulter, dans lequel il déplore que de nombreux détaillants acceptent de vendre des vapoteuses et des produits nicotinés aux moins de 18 ans.

Caméras cachées à l’appui, deux clients mystère de 16 ans se sont présentés dans 20 dépanneurs spécialisés dans les articles de vapotage à Montréal et à Québec. Ils ont pu acheter des produits réservés aux adultes dans cinq établissements sans que leur âge soit vérifié.

Depuis le 31 octobre dernier, la vente de produits de vapotage comportant un parfum autre que celui du tabac est prohibée au Québec. Dans la foulée, des vapoteries se sont enregistrées en tant que dépanneurs pour pouvoir admettre les adolescents dans leur établissement et étendre leur offre aux bonbons exotiques.

D’aucuns profitent de l’occasion pour contourner la loi et exposer sur les tablettes une panoplie de « rehausseurs de saveur » au goût sucré. Ces additifs aromatisés, considérés comme des produits alimentaires, peuvent être ajoutés aux liquides nicotinés, qui doivent eux être vendus derrière les comptoirs.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Exemples de « rehausseurs de saveur » vendus dans de nombreux dépanneurs spécialisés

« On veut que la réglementation soit beaucoup plus claire et que les inspecteurs mettent de l’ordre afin de faire respecter la loi » sur l’interdiction des parfums, indique Michel Poulin, porte-parole du Regroupement des tabagies du Québec (RTQ), qui se présente comme la « voix forte » de quelque 300 commerces depuis le 8 février dernier. « On veut que ce soit égal pour tout le monde. »

« Un cri d’alarme »

Les boutiques spécialisées de cigarettes électroniques, lorsqu’elles sont enregistrées comme telles, peuvent étaler tous les produits tabagiques, mais leur accès est réservé aux 18 ans et plus.

Le fait d’admettre maintenant les mineurs semble avoir accru la facilité pour les jeunes d’obtenir des produits de vapotage en magasin.

Extrait du rapport publié par le Regroupement des tabagies du Québec

« Les saveurs de vapotage semblent désormais plus accessibles avec des vapoteries converties en dépanneurs que dans l’ancien régime », note par ailleurs le rapport publié par le RTQ.

Le RTQ, qui rallie officiellement une cinquantaine de tabagies, ne s’oppose pas au resserrement de la loi sur les parfums pour éloigner les jeunes du vapotage, mais il presse plutôt Québec de la clarifier et de la faire respecter de façon ferme.

« On lance un cri d’alarme auprès du ministre [Christian Dubé]. La cible ou l’intention de la réglementation était noble, mais dans l’exécution, un réalignement devrait être fait. On sonne la cloche depuis le début du mois de janvier, et là, on est rendu au mois d’avril et on n’a rien vu ni entendu [de la part du gouvernement]. Il y a énormément de créativité commerciale. »

La demande des tabagistes rejoint celle du cigarettier Imperial Tobacco, qui commercialise la marque de vapotage Vuse. L’entreprise a dû retirer des tablettes toute une gamme d’e-liquides parfumés, de la tequila fruitée à la mangue tropicale en passant par le café-coco.

« Ce qui nous préoccupe le plus, c’est le manque d’uniformité dans l’application de la réglementation », a expliqué Éric Gagnon, vice-président aux affaires corporatives et réglementaires d’Imperial Tobacco Canada, dans un communiqué diffusé le mois dernier.

« La mauvaise cible »

Du côté de l’Alliance des boutiques de vapotage du Québec (ABVQ), le porte-parole David Lévesque se dit surpris que le Regroupement des tabagies du Québec ait été créé pour attaquer les vapoteries nouveau genre. « Ils se trompent de cibles », croit-il.

Ce qui affecte les tabagies et les dépanneurs, ce sont les ventes en ligne hors province. De s’attaquer aux vape shops en essayant de nous dépeindre comme des individus qui veulent vendre aux jeunes, c’est complètement con. On a souvent les mêmes produits que les tabagies.

David Lévesque, porte-parole de l’Alliance des boutiques de vapotage du Québec (ABVQ)

L’augmentation du vapotage chez les jeunes a commencé après des changements législatifs en 2018, alors que l’éclosion des boutiques spécialisées date de 2014, soutient M. Lévesque.

L’ABVQ rejoint toutefois les constats du RTQ quant au laxisme des inspecteurs du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) vis-à-vis des produits de vapotage illégaux, qu’ils soient vendus dans les réserves autochtones ou dans des dépanneurs spécialisés.

« Que les gens achètent des saveurs pour les mettre dans leurs produits de vapotage, ça les regarde », dit M. Lévesque. « Je préfère que les gens fassent ça plutôt qu’ils achètent un paquet de cigarettes. Mais présentement, il y a des pommes pourries, des gens qui étiquettent des trucs en disant que ce sont des saveurs de tabac, alors que ce sont des saveurs de fruits. Sur ce point-là, il y a eu plusieurs plaintes et le gouvernement ne fait pas sa job. »

Des « travaux internes » au ministère de la Santé

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) admet que « certaines pratiques de l’industrie du vapotage demeurent en contradiction avec les intentions derrière le règlement » sur les produits aromatisés. Dans un courriel, la porte-parole Marie-Pierre Blier indique que 744 visites d’inspection ont été effectuées dans les points de vente de produits du tabac et de vapotage du 31 octobre 2023 au 31 mars 2024.

« Uniquement en lien avec le nouveau règlement sur le vapotage, 18 avertissements de non-respect ont été émis et 25 constats d’infraction sont actuellement en traitement pour autorisation par le Directeur des poursuites criminelles et pénales », souligne-t-elle. Le MSSS mène actuellement des travaux internes pour « faire usage de l’ensemble des leviers réglementaires et législatifs existants pour mettre fin aux contournements observés ». « Si des mesures supplémentaires doivent être mises en place, elles le seront », précise Mme Blier.