(Ottawa ) La Commission sur l’ingérence étrangère doit élargir la portée de son enquête pour également passer au peigne fin les tentatives d’immixtion de l’Iran dans les affaires du pays, plaide le Parti conservateur du Canada dans une lettre envoyée à la juge Marie-Josée Hogue.

L’avocat qui représente le Parti conservateur durant les travaux de la Commission, Nando De Luca, a avancé que Téhéran se livre à « une campagne d’intimidation » auprès de Canadiens d’origine iranienne depuis longtemps et que le gouvernement fédéral fait peu de cas de cette menace.

« L’ingérence étrangère iranienne constitue une menace active et actuelle au Canada, contre laquelle le gouvernement actuel n’a pas pris les mesures appropriées », a soutenu M. De Luca dans sa lettre obtenue par La Presse mardi.

La fin de semaine dernière, l’ancien patron du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Richard Fadden, a recommandé que l’Iran soit inclus dans la liste des pays qui sont dans la ligne de mire de la Commission sur l’ingérence étrangère. M. Fadden doit témoigner devant la commissaire Marie-Josée Hogne ce mercredi.

Dans sa lettre, M. De Luca a fait allusion au complot déjoué par le FBI aux États-Unis et commandité par Téhéran, qui visait à tuer un dissident iranien réfugié sur le sol américain ainsi qu’une femme iranienne qui l’accompagnait. Selon les autorités américaines, le contrat avait été donné à un membre important des Hells Angels au Canada1, Angel Damion Ryan. Ce dernier est coaccusé avec un autre Canadien dans le cadre de cette affaire.

« Une décennie de désinformation »

M. De Luca rappelle dans sa lettre une étude publiée en 2021 par le professeur Ahmed Al-Rawi, directeur du Disinformation Project à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, dans laquelle il affirmait que les autorités iraniennes se livraient à des activités de désinformation depuis de nombreuses années au Canada.

Son étude faisait « état d’une décennie de désinformation iranienne, de microciblage dans le but de modifier les votes au Canada entre 2010 et 2019 ». Par exemple, son étude concluait que des trolls iraniens avaient diffusé de faux rapports sur Stephen Harper peu avant les élections canadiennes de 2015, « suggérant que la CIA l’avait installé au pouvoir et qu’il était un supporter [du groupe armé État islamique] ».

Pour étoffer son argument, M. De Luca a aussi cité l’ancienne conseillère en matière de sécurité nationale Jody Thomas, qui a affirmé devant un comité parlementaire en mars dernier que « la plus grande menace d’ingérence étrangère pour le Canada vient du Parti populaire de la République de Chine, bien que d’autres États, comme la Russie et l’Iran, tentent également de s’immiscer secrètement ou de manière coercitive dans nos affaires ».

« Compte tenu des nombreux exemples très médiatisés d’ingérence iranienne au Canada, tant en ce qui concerne notre processus démocratique et les tentatives de réprimer l’expression politique au Canada, il est de la plus haute importance que la Commission s’intéresse aussi à l’Iran », a conclu l’avocat.

Ne pas être maintenu dans « l’ignorance »

Invité à commenter la requête du Parti conservateur, un porte-parole de la Commission, Michael Tansey, a indiqué dans un courriel à La Presse que le travail de la Commission sera guidé par son mandat et par les informations obtenues dans le cadre de son enquête. « Conformément à son mandat, la Commission a l’intention de procéder à un examen et à une évaluation approfondie et proportionnée de l’ingérence de la Chine, de la Russie et d’autres États étrangers ou acteurs non étatiques. »

Le Parti conservateur a plaidé pour l’ajout de l’Iran dans les pays d’intérêt au moment où des experts ont invité la Commission à privilégier la transparence dans le traitement des renseignements touchant la sécurité nationale qu’elle obtiendra du gouvernement fédéral si elle veut maintenir la confiance des Canadiens à l’égard de son travail ainsi qu’à l’égard des institutions canadiennes dans leur ensemble.

Autrement, le public et les médias risquent de se retrouver dans « un effet boîte noire », a soutenu le professeur de droit à l’Université de Montréal, Pierre Trudel.

« L’effet boîte noire, c’est essentiellement un effet par lequel le public se retrouve maintenu dans l’ignorance », a-t-il expliqué à la juge Marie-Josée Hogue, qui préside la Commission.

« Il ne sait souvent pas de quoi il s’agit, de quoi il est question, sur quoi ça porte, pour quelle raison l’information ne peut pas être divulguée, et donc ça donne l’impression qu’il faut croire sur parole », a-t-il ajouté.

Pour éviter tout effet pervers, la Commission devra s’assurer d’expliquer sans nuance pourquoi la divulgation de certains documents pourrait porter atteinte à la sécurité nationale. Lundi, l’un des avocats de la Commission, Gordon Cameron, a fait savoir qu’environ 80 % des documents reçus par la Commission sont classifiés.

Avec La Presse Canadienne

1. Lisez « Un Hells Angel canadien recruté par l’Iran pour tuer un dissident »