Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ainsi que de nombreuses organisations publiques échouent à répondre aux recommandations du Bureau du coroner dans les délais prescrits, a constaté La Presse.

Depuis plus d’un an, soit le 1er novembre 2022, les personnes, les associations, les ministères ou les organismes doivent impérativement confirmer au coroner en chef « qu’ils ont pris connaissance des recommandations de ce dernier et de l’informer des mesures qu’ils entendent prendre pour corriger la situation ». Un simple accusé de réception ne suffit pas.

Le Bureau du coroner demandait ce changement législatif depuis plusieurs années en raison du laxisme de certains interlocuteurs. Pour l’année budgétaire 2022-2023, le taux de réponse aux recommandations était de 42,4 %.

Les délais maximaux de réponse fixés par le coroner en chef dans ses missives sont de 45 jours, mais le MSSS, organisme le plus sollicité par les rapports, dispose d’une tolérance de 90 jours pour se positionner en raison du retard accumulé pendant la pandémie.

Le Ministère a néanmoins contrevenu à la Loi sur les coroners à au moins 11 reprises dans la dernière année, selon notre analyse d’un document du Bureau du coroner qui détaille les suivis des recommandations émises du 1er avril 2022 au 31 mars 2023.

Nous avons exclu de ce décompte les demandes envoyées avant le 1er novembre 2022, alors que la nouvelle loi n’était toujours pas en vigueur. Nous nous sommes aussi assurés que le délai de 90 jours propre au MSSS soit échu.

Certaines recommandations proposent des solutions très concrètes pour « protéger la vie humaine ». Un coroner demande par exemple « d’interdire les barres d’appui pour lits (barres d’assistance) avec une seule barre transversale et [de les remplacer] par des barres d’appui pour lits qui comportent au moins deux barres transversales ».

Au moment de publier, le coroner en chef n’avait toujours pas reçu d’accusé de réception de cette recommandation transmise le 19 janvier 2023.

D’autres recommandations laissées sans réponse par le MSSS concernaient les signalements à la Direction de la protection de la jeunesse, les suivis psychologiques, le repérage des risques suicidaires ou encore la gestion des appels aux services d’urgence.

En date du 31 mars 2023, le Ministère n’avait répondu aux recommandations que dans 3 des 22 dossiers qui lui avaient été soumis depuis le 1er avril 2022, constate-t-on dans le document sur les suivis produit par le Bureau du coroner. Ce rapport couvre toutefois une période de sept mois durant laquelle les réponses n’étaient pas obligatoires.

Du « retard » dans les réponses

« Nous sommes en lien avec le Ministère, dit Reno Bernier, coroner en chef du Québec, en entrevue téléphonique avec La Presse. Ils sont sensibilisés à cette problématique-là. »

C’est vrai que le taux de réponse n’était pas élevé, mais ils sont en train d’élaborer un plan pour reprendre le retard accumulé. Je suis confiant, mais c’est sûr qu’il y a un gros travail à faire.

Reno Bernier, coroner en chef du Québec

Le Bureau du coroner, qui dit avoir d’excellentes relations avec les organisations publiques, a accès à une personne-ressource au ministère de la Santé. Il souhaiterait néanmoins que l’organigramme de la direction comprenne un bureau de suivi des recommandations semblable à celui instauré par le ministère des Transports.

Questionné par La Presse, le MSSS admet avoir du « retard » dans ses réponses. Il blâme notamment le cumul de dossiers pendant la gestion de la crise sanitaire de 2020 à 2022. « Des travaux intensifs sont en cours pour rattraper le retard », explique une porte-parole par courriel, ajoutant que « plusieurs réponses aux recommandations du coroner seront transmises prochainement ».

Le Ministère dit accorder « une grande importance » aux travaux des coroners. « Lorsqu’un rapport implique des recommandations pour le MSSS, celles-ci sont transmises dès réception aux directions ministérielles concernées pour qu’un suivi soit effectué et que ces recommandations soient considérées dans les travaux en cours et à venir. »

Au-delà des correspondances formelles, le MSSS précise avoir des contacts fréquents avec le Bureau du coroner, « notamment pour s’assurer de la diffusion des informations et obligations concernant la nouvelle Loi ».

Un enjeu répandu

Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts, le ministère des Transports, le ministère des Affaires municipales, le Service de police de la Ville de Montréal, la Direction générale de santé publique de Montréal, la Ville de Québec, la Ville de Montréal et la Société de l’assurance automobile du Québec étaient tous en infraction, par leur mutisme au-delà de 45 jours, dans au moins un dossier en date du 31 mars 2023.

Plus ironique, même le ministère de la Sécurité publique, duquel relève le Bureau du coroner, contrevenait à la Loi sur les coroners en ne donnant pas suite dans le temps imparti à des recommandations formulées le 19 janvier 2023 dans un dossier de surdose.

Pour l’année budgétaire 2022-2023, le Bureau du coroner a fait 754 recommandations dans 282 dossiers. Le taux de réponse était de 42,4 %, selon le rapport de gestion de l’organisme indépendant. Lorsqu’elles donnent signe de vie, les organisations acceptent de mettre en œuvre les recommandations environ 9 fois sur 10.

Quelque 80 centres de santé, organismes publics, associations, ordres professionnels, municipalités et entreprises privées n’avaient pas répondu à au moins une recommandation du coroner en chef envoyée du 1er avril 2022 au 31 mars 2023. Plusieurs ont été contactés après le 1er novembre, contrevenant ainsi à la loi.

« Année de transition »

Le coroner en chef du Québec, Reno Bernier, note que ses partenaires sont dans « une année de transition, de mise en œuvre » vis-à-vis de la nouvelle Loi sur les coroners. Toutefois, « la situation n’est pas à [son] goût de manière optimale ». « Un taux de réponse de 42 %, ce n’est pas assez, dit-il. Moi, je voudrais qu’il atteigne 75 %. »

Bien que la Loi sur les coroners ne prévoie pas de sanctions pénales, M. Bernier assure qu’elle favorise la reddition de comptes.

Chaque sous-ministre est imputable. Chaque année, à l’étude des crédits, il doit répondre de sa gestion. Et il y a les chercheurs, les organismes et les journalistes qui peuvent demander des comptes.

Reno Bernier, coroner en chef du Québec

Le Bureau du coroner est en train d’élaborer un outil public de suivi des recommandations en temps réel, ce qui pourrait accentuer la pression sur les organismes et les ministères et « mettre en valeur leur travail ».

« Les recommandations, c’est une des parties du travail du coroner qui sont les plus importantes, parce qu’elles permettent de faire changer les choses, de prévenir des décès et de faire évoluer la société », fait valoir M. Bernier.

Quels décès nécessitent un rapport du coroner ?

Un coroner « intervient systématiquement lorsqu’un décès survient dans des circonstances violentes ou obscures ou possiblement liées à de la négligence, ou lorsque l’identité de la personne décédée n’est pas connue ». Différents corps de métier, par exemple un médecin ou un directeur, ont une obligation de signalement dans ces circonstances. Le Bureau du coroner doit aussi être avisé de tout décès qui se produit dans des endroits particuliers, « notamment dans les garderies, les centres jeunesse, les familles d’accueil, les postes de police, les établissements de détention, les pénitenciers et les centres de réadaptation ». Près de 70 000 décès surviennent annuellement au Québec, dont quelque 6000 font l’objet d’une investigation par un coroner. S’il le juge nécessaire pour l’intérêt de la population, le coroner en chef peut ordonner une enquête publique. Ce fut le cas par exemple à la suite des sept décès survenus lors d’un incendie dans le Vieux-Montréal le 16 mars dernier. L’auteur d’un rapport est libre d’émettre des recommandations ou non.