(Québec) Les pourparlers ont été perturbés à la plus grosse table sectorielle de négociation après la sortie du premier ministre François Legault disant qu’une entente dans le secteur de la santé ne pourrait survenir avant janvier. Ils sont même au ralenti : il y a eu peu d’avancées jusqu’ici et des enjeux majeurs sont toujours en litige, a appris La Presse.

Depuis le début des négociations, le gouvernement avait toujours dit que son objectif était de régler les conventions collectives d’ici les Fêtes ou la fin de l’année. Or, mercredi, François Legault a soutenu que les pourparlers sont « très, très difficiles » avec les syndicats des travailleurs de la santé et que la perspective d’une entente s’éloigne.

« Il n’y a à peu près aucune ouverture à nous donner la flexibilité qui est absolument nécessaire pour améliorer les services en santé. Donc, de ce côté-là, je pense que ça va aller plutôt en janvier », a-t-il déclaré.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault, premier ministre du Québec

Il a tenu ces propos au moment même où les représentants patronaux et syndicaux allaient se rencontrer à la plus grosse table sectorielle de négociation, celle impliquant les 120 000 travailleurs de la santé membres de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN (FSSS-CSN).

Une journée de pourparlers a été perdue parce que l’on doutait que les représentants patronaux aient le mandat nécessaire pour négocier et arriver à un accord, expliquent des sources à la FSSS-CSN. Le Conseil du trésor a par la suite indiqué au syndicat que M. Legault faisait surtout allusion à la situation avec la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), qui compte 80 000 membres.

Or, il appert que les négociations entre le gouvernement et la FSSS-CSN sont au ralenti. Malgré 80 rencontres jusqu’ici, ce ne sont que des sujets périphériques, sans incidence financière importante, qui ont été réglés, selon un compte rendu de sources syndicales.

Ce constat est important. Car il est difficile de croire qu’une entente pourrait être conclue à la table centrale, où l’on discute des salaires, sans qu’un accord intervienne d’abord à la plus grosse table sectorielle du secteur public.

La table centrale aussi au ralenti

Les négociations à la table centrale, qui se sont poursuivies vendredi pour une quatrième journée consécutive, avancent d’ailleurs toujours à pas de tortue, selon des sources syndicales du Front commun (CSN, FTQ, CSQ et APTS).

Les discussions à la plus grosse table sectorielle ont une incidence importante sur la suite des choses. Et pour le moment, on assiste à un dialogue de sourds.

Le gouvernement blâme le syndicat qui, selon lui, oppose une fin de non-recevoir à ses demandes pour obtenir plus de « souplesse » dans les conventions collectives. Et les demandes syndicales au sujet des primes et de l’aménagement du temps de travail sont trop coûteuses et impliquent l’ajout de travailleurs qui n’existent pas dans le contexte de pénurie, dit-on en coulisses.

De son côté, la FSSS-CSN accuse le gouvernement de rester campé sur ses positions initiales. « Les négociateurs du gouvernement disent qu’ils ont seulement le mandat de discuter des priorités du gouvernement », pas de celles du syndicat, estime son président, Réjean Leclerc. « Ils ne bougent pas par rapport à leur position de départ. » Résultat : « On se parle à la table, mais il n’y a pas de négociation. »

Des dossiers qui divisent

Les primes

Des enjeux majeurs opposent les parties. Le gouvernement Legault martèle depuis des mois qu’il veut offrir des primes plus généreuses dans le secteur de la santé pour combler des quarts défavorables (soir, nuit et fin de semaine). Selon son offre à la FSSS-CSN, il propose d’augmenter d’un point de pourcentage ces primes. Celle de soir passerait de 8 % à 9 % ; celle de nuit, de 16 % à 17 %. Pour la fin de semaine, ce serait 5 % au lieu de 4 % – ce serait éventuellement plus pour certaines catégories d’emploi dans certains services pourvu que le travail soit à temps complet. Il offre également la même augmentation (un point de pourcentage) pour ce que l’on appelle les « primes de milieu », accordées aux travailleurs aux soins intensifs d’un hôpital, en CHSLD ou en centre jeunesse. La FSSS-CSN demande que les primes soient revues à la hausse davantage – de deux points de pourcentage pour la prime de nuit, par exemple. Ce sujet est une affaire de gros sous.

Le déplacement de personnel

C’est le dossier le plus épineux : Québec veut avoir le pouvoir de déplacer le personnel beaucoup plus facilement. Il souhaite obtenir les coudées franches pour changer des travailleurs de milieu de soins, pour les faire passer d’un CHSLD aux urgences d’un hôpital, par exemple. Cela risque de causer encore plus d’instabilité dans les conditions de travail, selon la FSSS-CSN. Le gouvernement veut pouvoir afficher des postes qui impliquent un horaire de travail de 12 heures sans entente avec le syndicat. Pour la FSSS-CSN, cette méthode ne ferait plus en sorte que seules les personnes volontaires obtiennent cet horaire. Elle craint que l’employeur impose souvent l’horaire de 12 heures dans l’offre de postes dans le réseau. Le syndicat se dit favorable à l’aménagement d’horaires de travail différents, définis en fonction des règles actuelles de la convention. Or, il signale que des ententes visant à créer un horaire de travail de quatre jours par semaine à temps complet ne peuvent être déployées en ce moment en raison d’un problème avec le système de paie du gouvernement.

La main-d’œuvre indépendante

On le sait, le gouvernement entend éliminer graduellement le recours à la main-d’œuvre indépendante. Il veut ainsi reconnaître l’ancienneté d’une travailleuse d’agence qui accepterait de revenir dans le réseau public. Ses heures travaillées pour le privé seraient ainsi comptabilisées dans le calcul de l’ancienneté. La FSSS-CSN refuse, même si elle milite pour la fin du recours aux agences privées. Ce serait selon elle difficile de valider les heures travaillées pour le compte d’une agence. Et cette mesure ne changerait rien aux raisons pour lesquelles ces travailleurs ont quitté le secteur public, comme la charge de travail.

La pénurie dans des régions

Le gouvernement veut accorder une somme forfaitaire de 4000 $ à un employé qui accepterait d’aller travailler à temps complet pendant au moins quatre mois en Outaouais, en Abitibi-Témiscamingue ou sur la Côte-Nord, où les besoins sont criants. Selon le syndicat, cette mesure est insuffisante pour attirer et retenir le personnel. Elle veut bonifier la prime actuelle pour « disparités régionales », réservée pour le moment à certains territoires du Grand Nord, de l’Abitibi-Témiscamingue, de la Côte-Nord, et aux Îles-de-la-Madeleine. Elle réclame une prime pour tous dans « certaines régions ou localités non visées par une prime de disparités régionales » qui ont aussi des besoins criants de main-d’œuvre.

Un nouveau « statut particulier »

Autre source de conflit : la création d’un nouveau « statut particulier » d’emploi. Québec veut le créer pour embaucher des retraités ou d’autres personnes qui voudraient travailler dans le réseau de la santé, à l’image de ce qui s’est passé avec la campagne « Je contribue » durant la pandémie. Mais selon des sources syndicales, « la seule et unique condition de travail » qui serait rattachée à ce statut est la rémunération. Ce statut serait « sans droit » à leurs yeux. L’employeur aurait le pouvoir de décider de l’horaire de travail et de mettre fin à l’emploi quand il le souhaite.

L’enjeu des étudiants

La création d’un « statut d’étudiant » pose problème. Québec veut recruter des étudiants des domaines d’études de la santé prêts à donner un coup de main au réseau, mais il propose de le faire à des conditions inacceptables, voire discriminatoires, selon le syndicat. L’étudiant serait payé l’équivalent d’un certain pourcentage du taux horaire au premier échelon de la catégorie d’emploi pour laquelle il est en train d’être formé et il n’exercerait pas nécessairement des tâches reliées à cet emploi. Par exemple, un étudiant en travail social toucherait 20 $ l’heure alors qu’un travailleur social gagne environ 27 $ au bas de l’échelle. Cet étudiant serait appelé à faire des tâches associées à un autre corps d’emploi, celui d’aide social, pour lequel le salaire est de 24 $ au premier échelon.