« Génocide en Palestine. Canada complice. » Des organismes ont crié au discours haineux quand une quinzaine de stations de métro ont été vandalisées, la semaine dernière. Mais était-ce vraiment de la haine et de l’antisémitisme ? La ligne est mince entre la liberté d’expression et le message haineux, soulignent des experts.

« On peut manifester, on peut exprimer ses idées, on peut critiquer le Canada, le Québec, Israël ou le Hamas, mais l’étape à ne pas franchir, c’est de s’en prendre à des groupes identifiables, à des gens », précise Maryse Potvin, cotitulaire de la Chaire France-Québec sur la liberté d’expression.

Dans un contexte de guerre, comme celle qui oppose Israël au Hamas, la liberté d’expression est souvent mise à mal. Des citoyens craignent d’exprimer leur point de vue à cause du climat de tension et de l’exacerbation des opinions. Des groupes tentent parfois aussi de discréditer les points de vue de l’autre, au point d’essayer de les réduire au silence, ajoute Mme Potvin, professeure à l’UQAM.

À cause des enjeux émotifs, certains dépassent justement la ligne à ne pas franchir. « On peut être en désaccord sans s’en prendre aux Juifs ou aux musulmans. Il faut rester à cette étape où on est en désaccord. À partir du moment où on s’en prend aux gens en les dénigrant, en les rabaissant, en les intimidant, en les terrorisant, ça devient du racisme. Lorsqu’il y a un appel à s’en prendre à un groupe, c’est d’une certaine façon un appel à exterminer l’autre », explique la spécialiste en extrémisme et en radicalisation.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

L’école Yeshiva Gedola a été la cible de projectiles deux fois en 72 heures au début du mois de novembre.

Au Canada, la liberté d’expression est encadrée par la Charte des droits, dans une certaine mesure. Inciter publiquement à la haine et encourager un génocide envers un groupe identifiable est toutefois punissable en vertu du Code criminel (les articles 318 et 319). Par « groupe identifiable », on entend « toute section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion, l’origine nationale ou ethnique, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle ou la déficience mentale ou physique ».

Jonathan Mayer, chargé de cours à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, rappelle que l’arrêt Whatcott a en partie balisé ce que constitue un discours haineux au pays. Dans cette affaire qui s’est rendue en Cour suprême il y a 10 ans, un militant avait distribué des tracts homophobes et haineux dans des boîtes aux lettres en Saskatchewan.

Un discours haineux, ce n’est pas le simple fait d’insulter quelqu’un, explique le chargé de cours. Il faut que ça vise un individu appartenant à un groupe.

Jonathan Mayer, chargé de cours à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke

« Mais attention, une insulte peut mener à d’autres infractions inscrites au Code criminel. Si je menace quelqu’un de le tuer, c’est une menace de mort et c’est criminel », précise M. Mayer.

Montée de crimes haineux

Tirs de projectiles sur des écoles, cocktails Molotov sur une synagogue, échauffourée à l’université… Pour Maryse Potvin et Jonathan Mayer, il n’y a pas de doute : il y a une montée du discours et même des crimes haineux à Montréal, comme ailleurs dans le monde. Les chiffres fournis par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), chaque semaine, le confirment aussi. Depuis le 7 octobre, 73 crimes ou évènements haineux ont été commis contre la communauté juive et 25 contre la communauté arabo-musulmane.

Or, les deux experts sourcillent lorsque des groupes qualifient le vandalisme dans le métro d’acte haineux. Dans les heures qui ont suivi l’évènement, le chef de l’opposition à Montréal, Aref Salem, a déclaré être inquiet de « constater que les actes haineux liés au conflit israélo-palestinien se multiplient dans notre métropole ». Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes a pour sa part indiqué avoir confiance dans la capacité du SPVM à assurer « un système de transports en commun exempt de messages haineux ».

« J’aurais plutôt tendance à dire que le message véhiculé [sur les affiches collées sur les édicules du métro] fait partie de la liberté d’expression. De ce que je comprends, on ne critique pas les Juifs d’Israël. On critique le Canada de tenir une certaine ligne en matière de politique internationale », croit M. Mayer.

« C’est politique, affirme aussi Mme Potvin. C’est une position idéologique, mais ce n’est pas haineux envers une population. »

« Même que c’est ça, la démocratie, ajoute-t-elle. On peut critiquer les États. On peut critiquer leurs décisions, pourvu qu’il n’y ait pas un caractère violent envers un groupe identifiable. »

L’histoire jusqu’ici

20 octobre : « Tuez tous les salauds de musulmans » est peint sur un mur du centre islamique Badr, dans Saint-Léonard.

28 octobre : L’imam Adil Charkaoui tient un discours controversé dans lequel il exhorte Allah à se charger « des ennemis du peuple ».

7 novembre : Des cocktails Molotov sont lancés sur une synagogue de Dollard-des-Ormeaux.

8 novembre : Une altercation éclate entre des étudiants pro-israéliens et pro-palestiniens, à l’Université Concordia.

9 novembre : Deux écoles juives sont la cible de coups de feu dans Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce.

12 novembre : L’école Yeshiva Gedola est visée par des projectiles pour une deuxième fois en 72 heures.

14 novembre : Des affiches en lien avec le conflit israélo-palestiniens sont collées sur les portes de 16 stations de métro.