Il y a quatre ans, jour pour jour, Québec confiait au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) le mandat d’enquêter sur les fuites à l’Unité permanente anticorruption (UPAC) et sur la façon dont celle-ci avait dirigé son enquête qui avait mené à l’arrestation, sans mise en accusation, de l’ancien député Guy Ouellette un an plus tôt.

Après quatre ans à retourner toutes les pierres, et pas seulement les plus importantes, les enquêteurs du Projet Serment finiront-ils par aboutir avant Noël comme prévu ? C’est très peu probable, selon nos informations.

Quelques rapports « satellites » portant sur certains suspects et volets précis de l’enquête pourraient être présentés aux procureurs avant les Fêtes, mais pas le rapport principal.

Ce dernier, qui portera sur le mandat du BEI, l’identification des fuites et les malversations alléguées à la direction de l’UPAC dans l’enquête Projet A qui a débouché sur l’arrestation de Guy Ouellette, est en rédaction et ne sera vraisemblablement pas soumis aux procureurs avant le milieu ou la fin de l’hiver.

Comment expliquer que l’enquête ne soit pas déjà terminée quatre ans plus tard ?

Il y a eu des requêtes de type Lavallée visant à trier la preuve qui relève du privilège et celle pour laquelle ce n’est pas le cas, et qui nécessitent de longues procédures devant les tribunaux.

Il y a eu également la quantité de preuve à traiter : 1,8 million de documents provenant de l’enquête Projet A de l’UPAC – à l’issue de laquelle le député Ouellette avait été arrêté – et près de 300 000 documents émanant des perquisitions du BEI.

Il y a eu aussi 186 entrevues réalisées auprès de 139 témoins, le dernier ayant été rencontré il y a trois mois.

La pandémie s’est aussi invitée dans l’enquête Serment ; elle a compliqué la rencontre des témoins et ankylosé le travail des enquêteurs.

Mais peut-il y avoir une autre cause ?

Cours de fuite 101

Lorsque l’enquêteur du BEI Michel Doyon a témoigné en décembre 2019 devant le juge André Perreault qui présidait les procédures contre Nathalie Normandeau et ses coaccusés, il a présenté une liste de 37 fuites survenues à l’UPAC depuis 2012.

La Presse a analysé ces 37 fuites. L’exercice n’avait rien de scientifique et n’est peut-être pas parfait, mais nous en arrivons à la conclusion préliminaire que les renseignements divulgués par 18 de ces 37 fuites n’étaient pas sensibles, que c’était le cas pour 11 d’entre elles et peut-être le cas pour 8 d’entre elles.

Il semble également que plusieurs articles ou reportages proviennent des mêmes fuites de documents et qu’en réalité, il y en ait passablement moins que 37.

On peut donc se demander si les enquêteurs du BEI auraient dû suivre un cours de fuite 101, et s’ils ne se sont pas attardés à des fuites qui n’en valaient pas la peine, s’ils ont pu confondre les fuites administratives, stratégiques ou même publiques, et les fuites criminelles qui, elles, risqueraient de mettre en péril une enquête.

La logique veut que ce soit sur les fuites criminelles que les efforts soient d’abord concentrés. Est-ce ce qu’il s’est passé ?

Selon les échos qu’entend La Presse depuis déjà plusieurs mois, il serait surprenant que des accusations criminelles soient déposées à l’issue de ce long processus.

Répercussions énormes

Une chose est sûre, quatre ans plus tard, l’intérêt envers cette « enquête oubliée » n’est plus celui qu’il a déjà été.

Pourtant, les fuites à l’UPAC, et les enquêtes sur celles-ci, ont eu des répercussions énormes.

Elles ont mené à l’arrestation d’un député, à la suspension du directeur du plus important corps de police du Québec, Martin Prud’homme, à l’arrêt du processus judiciaire contre Nathalie Normandeau et ses coaccusés, à la fragilisation d’une unité, l’UPAC, que les Québécois réclamaient, à des dépenses de plus de 10 millions en enquête, en plus d’alimenter le cynisme de la population et d’ébranler le système.

Une fois terminées l’enquête Serment et l’analyse du dossier par les procureurs, il ne faudra pas seulement offrir à la population un gazouillis de 280 caractères dans lequel le Directeur des poursuites criminelles et pénales annoncera qu’il ne déposera aucune accusation.

Il faudra des réponses aux questions qui subsistent toujours quatre ans plus tard.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.