Hotel Juke Box, Rose Lips, Stylish: noms bizarres, aspect délirant: les Love Hotels, aux chambres réservées aux ébats amoureux, sont une institution japonaise qui traverse les décennies et conjonctures, pour les couples légitimes... ou non.

Un lundi à l'heure du déjeuner, au Two-Way, dans le quartier animé de Shibuya, seules deux des 34 chambres sont encore libres.

«À ce moment de la journée, ce sont surtout des adultères. La nuit, ce sont plutôt des jeunes couples», confie le gérant, Masakatsu Tsunoda, 15 ans dans le secteur, dont cinq comme patron.

Les prestations des Love Hotels, très fréquentés pour la Saint-Valentin et que ne boudent pas les personnes âgées, sont sans ambiguïté: offrir des chambres aux lits et baignoires surdimensionnés, pour quelques heures (tarif réduit autour de 45 à 75$) ou une nuit (au-delà de 113$), avec option dîner ou petit déjeuner livré.

Ces lieux de plaisir en tout bien tout honneur ne sont pas des maisons closes, même si l'on y croise parfois des attelages douteux.

«Ce n'est pas seulement pratique pour ceux qui ne sont pas mariés et vivent séparément, le fait de changer d'espace accentue l'érotisme pour des époux», témoigne un client occasionnel.

«L'idéal, c'est quand une chambre accueille 4 couples en 24 heures, un le matin, un l'après-midi, un troisième jusqu'à minuit, un quatrième pour la nuit», explique M. Tsunoda.

L'anonymat est préservé et la discrétion assurée, même si aujourd'hui, assure ce professionnel, «les jeunes, y compris les femmes, n'ont plus honte d'y venir». Le personnel, quand il est là, se fait oublier, se cache derrière une paroi et n'est pas censé voir ou seulement brièvement, le visage des clients.

Le choix de la chambre se fait sur un panneau lumineux à l'entrée, où est présenté chaque intérieur avec une photo et la liste des équipements.

Déjà une longue histoire d'amour

«Les Love Hotels, c'est une idée japonaise dont les origines remontent à l'époque Edo (1603-1867). On n'appelait pas cela Love Hotel, mais on pouvait louer une pièce pour une durée limitée dans laquelle se retrouvaient un homme et une femme. Puis avant-guerre, sont apparus des variétés de ryokan (hôtels nippons) qui étaient en fait très proches sur le principe des Love Hotels», explique Ikkyon Kim, universitaire, spécialiste de la culture nippone et auteur d'ouvrages sur ces auberges d'amour.

Mais c'est bien sûr après-guerre, durant les années 1950/60, la période dite de haute croissance, que sont vraiment apparus ces établissements sous leur forme moderne.

«Cela répondait à un besoin. Les gens avaient des petits appartements et pour les couples, prendre un moment de détente à deux n'était pas évident lorsqu'on vivait dans une pièce dans laquelle on sortait les futons la nuit pour que dorme toute la famille», ajoute Mme Kim.

«Les hôtels traditionnels en bois sont devenus des bâtiments en béton avec des chambres mieux aménagées, de grands lits, des télévisions en couleur, des baignoires individuelles et autres équipements que les gens n'avaient pas chez eux et qui faisaient envie», détaille-t-elle.

Puis dans les années 1970, sont apparues des architectures folles, en forme de châteaux et autres lieux fantasmagoriques, des lits tournants, des bains à bulles, des équipements inimaginables, des chambres à thème. Les uns copiaient sur les autres, et cela marchait, il y avait de la demande en cette période de fête et d'émancipation des femmes.

Comme il n'était pas possible pour lesdits Love Hotels de faire de la publicité, ce sont leurs appellations très étranges et devantures extravagantes qui renseignaient immédiatement sur leur nature.

Le nombre des Love Hôtels a crû jusqu'à un pic enregistré au milieu des années 1980, décennie de folie où tout ou presque était permis, où la spéculation immobilière allait bon train, jusqu'à ce que la bulle éclate au début des années 1990.

Selon les acteurs du secteur, il y aurait encore quelque 20 000 à 30 000 Love Hotels de tous types et taille au Japon, classés en «établissements de plaisir» ou simples hôtels. Leur chiffre d'affaires global se monterait à quelque 4.000 milliards de yens (29 milliards d'euros).

Une concurrence accentuée par internet

Ce n'est pas la crise qui cause le plus de soucis à la profession, car elle y résiste plutôt bien «même si c'est un peu moins vrai qu'avant», selon M. Tsunoda, mais internet ou des magazines spécialisés qui accentuent la compétition.

«Avant, on se rendait dans le premier établissement trouvé sur le chemin, mais aujourd'hui, avec le web et les téléphones intelligents, presque tous les couples comparent et choisissent en tenant compte du bouche-à-oreille, comme pour les restaurants. C'est devenu plus difficile pour les gérants des Love Hotels qui ne peuvent pas se contenter du minimum, il faut offrir des services, renouveler les équipements», souligne Mme Kim.

«Hélas, il est de plus en plus difficile de se distinguer, de proposer des équipements nouveaux que les gens n'aient pas déjà à domicile», s'attriste la gérante d'un Love Hotel excentrique, The Rock, en banlieue de Tokyo.

«Ce sont de plus en plus les filles, plus exigeantes, qui choisissent», ajoute une consultante en aménagement de Love Hotel, Kazue Yamauchi.

«Les Love Hotels sont très représentatifs des besoins d'une société à une époque donnée et en cela ils sont très riches d'enseignement sur la culture japonaise», insiste Mme Kim qui regrette que ce concept soit trop souvent tourné en dérision.