Le régime iranien joue les équilibristes au Proche-Orient depuis l’éclatement de la guerre entre Israël et le Hamas en soutenant en sous-main l’action de nombreux groupes armés apparentés tout en cherchant à éviter de donner à ses adversaires un prétexte pour l’attaquer.

Alex Vatanka, spécialiste du pays rattaché au Middle East Institute, note que les dirigeants de la République islamique sont passés maîtres dans ce domaine.

« Ils ont un demi-siècle de pratique, ce qui explique pourquoi ils ont survécu aussi longtemps », relève l’analyste, qui s’empresse d’ajouter que le contexte actuel n’en demeure pas moins périlleux pour Téhéran.

Le risque est particulièrement important au Liban, où le Hezbollah, un proche allié, multiplie depuis des mois les échanges de tirs avec l’armée israélienne tout en visant une bande de territoire limitée pour éviter un affrontement à plus grande échelle.

De l’avis de M. Vatanka, un tel conflit pourrait s’avérer fatal pour la milice chiite, même si elle dispose d’un arsenal susceptible de lui permettre d’infliger des dommages importants à Israël.

« L’Iran ne va pas sacrifier le Hezbollah dans le contexte actuel. Il s’agit de sa réserve stratégique pour se protéger en cas d’attaque directe contre son territoire », explique Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa.

Frontière sous tension

L’attitude des autorités israéliennes, qui se disent déterminées à éloigner les combattants du Hezbollah de la frontière de leur pays avec le Liban, vient cependant compliquer l’équation.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un homme se tient au milieu des décombres de bâtiments détruits lors de frappes israéliennes sur Naqura, près de la frontière du Liban avec Israël, le 4 janvier.

Tout en poursuivant son offensive à Gaza, Tel-Aviv répète depuis quelques semaines que les 80 000 Israéliens déplacés du nord du pays pour échapper aux tirs du Hezbollah devront pouvoir retrouver leurs résidences sans craindre de devenir la cible de nouvelles attaques.

Nicholas Blanford, analyste de l’Atlantic Council établi à Beyrouth, note qu’Israël pourrait se décider à intervenir dans le sud du Liban pour repousser le Hezbollah à une vingtaine de kilomètres de la frontière.

La milice chiite répondrait de manière musclée, mais pourrait, là encore, limiter sa réponse pour éviter un embrasement tous azimuts, relève M. Blanford.

Il y a une différence entre tirer des ogives dans une zone peu habitée en territoire israélien et tirer un missile de haute précision sur Tel-Aviv.

Nicholas Blanford, analyste de l’Atlantic Council

L’analyste Kobi Michael, de l’Institute for National Security Studies de Tel-Aviv, note qu’Israël ne souhaite pas un conflit d’envergure avec le Hezbollah, mais qu’il a la capacité militaire d’aller de l’avant au besoin pour « changer la réalité » à la frontière.

Le New York Times rapportait récemment que l’administration américaine doute que ce soit possible tant que l’offensive contre Gaza suit son cours et qu’elle en a avisé le gouvernement israélien.

« Nous cherchons à obtenir ce résultat par la voie diplomatique. Si ça ne fonctionne pas, nous procéderons par la voie cinétique », assure M. Michael en utilisant un terme à connotation militaire.

Plus que des « marionnettes »

M. Vatanka note que l’Iran est soucieux de ne pas donner à Israël ou aux États-Unis un prétexte pour l’attaquer directement et continue, dans ce contexte, de minimiser son rôle, notamment auprès des houthis du Yémen.

Téhéran nie ainsi toute responsabilité dans les attaques en mer Rouge lancées contre des bateaux commerciaux par ces rebelles chiites, même s’il est clair, selon M. Juneau, qu’ils ne pourraient les réaliser sans l’apport de l’Iran.

PHOTO ASSOCIATED PRESS

Des combattants houthis, dimanche

Les rebelles, qui ont été la cible jeudi et vendredi (respectivement vendredi et samedi, heure locale) de frappes menées par les États-Unis et le Royaume-Uni, ne sont pas, dit-il, « de simples marionnettes » du régime iranien. Ils partagent avec lui plusieurs objectifs stratégiques, dont celui de nuire à Israël.

L’influence de l’Iran sur des milices chiites présentes en Syrie et en Irak, qui ont tiré à plusieurs reprises sur des soldats américains dans les derniers mois, est plus directe, même si Téhéran maintient là encore ses distances officiellement.

Ali Vaez, spécialiste de l’Iran rattaché à l’International Crisis Group, craint que les efforts du pays dans le domaine nucléaire ne redeviennent un enjeu de premier plan dans le contexte actuel.

Le régime iranien, dit-il, avait accepté dans les mois précédant l’attaque du Hamas en Israël d’interrompre ses activités d’enrichissement d’uranium et de minimiser ses interventions régionales. Les États-Unis avaient de leur côté mis la pédale douce sur les sanctions.

L’action du Hamas a cependant tout fait voler en éclats, poussant Téhéran à reprendre l’enrichissement à un niveau préoccupant qui pourrait lui permettre d’obtenir en quelques semaines le matériel fissile requis pour produire une bombe, note M. Vaez.

PHOTO DE L’ARMÉE ISRAÉLIENNE, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Soldats israéliens lors de l’opération de Tsahal dans la bande de Gaza, le 12 janvier

L’analyste craint que l’efficacité limitée des moyens utilisés jusqu’à maintenant par l’Iran pour faire pression sur Israël et favoriser une interruption de l’offensive à Gaza n’amène le régime à conclure que les capacités de dissuasion dont il dispose sont insuffisantes pour se protéger et doivent être renforcées.

« Les Iraniens pourraient conclure qu’ils paraissent trop faibles. C’est la chose qu’ils haïssent le plus », dit-il.

Une erreur

M. Vatanka note que Téhéran commettrait une grave erreur en allant de l’avant avec la production d’une arme nucléaire dans le contexte actuel puisqu’elle donnerait un prétexte en or à ses adversaires pour cibler le pays.

Pour l’Iran, c’est plus utile d’avoir la capacité de produire une bombe atomique rapidement que d’avoir la bombe atomique.

Alex Vatanka, du Middle East Institute

M. Michael note qu’Israël ne veut pas s’en prendre directement à l’Iran même s’il est clair, selon lui, que le pays agit à son encontre de diverses façons.

Tel-Aviv n’aurait cependant pas le choix d’agir, dit-il, si Téhéran était sur le point d’obtenir l’arme atomique et que la communauté internationale ne bougeait pas.

« Un Iran nucléaire serait encore plus incontrôlable. Et l’on sait à quel point le pays est déjà dangereux », conclut l’analyste israélien.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Des acteurs régionaux sous influence

Iran

L’Iran ne souhaite pas d’affrontement direct avec Israël et les États-Unis, mais n’hésite pas à recourir à des groupes armés apparentés répartis dans plusieurs pays pour peser sur la dynamique découlant de la guerre en cours avec le Hamas.

Liban

Le Hezbollah, qui constitue à la fois une force politique et militaire importante dans le pays, a multiplié les tirs en territoire israélien depuis le début de la guerre à Gaza. Le leader de l’organisation, Hassan Nasrallah, multiplie les mises en garde, mais semble soucieux de ne pas dépasser un seuil critique susceptible d’entraîner un affrontement d’envergure avec Tel-Aviv.

Irak

Des milices chiites soutenues par Téhéran ont multiplié les tirs de missiles contre les troupes américaines présentes dans le pays, suscitant quelques frappes de représailles des États-Unis qui ont tué notamment un commandant.

Syrie

Le Hezbollah, qui a soutenu le régime de Bachar al-Assad durant la guerre civile ayant dévasté le pays, est solidement implanté et travaille de concert avec des milices pro-iraniennes qui ont aussi ciblé à de nombreuses reprises des troupes américaines depuis quelques mois. Israël continue parallèlement de mener des frappes aériennes pour freiner les actions de Téhéran.

Yémen

Les rebelles houthis, qui sont soutenus par l’Iran, livrent une guerre acharnée depuis des années à une coalition internationale menée par l’Arabie saoudite. Ils ont élargi leurs actions depuis l’éclatement de la guerre entre le Hamas et Israël en multipliant les tirs de missiles contre des bateaux commerciaux circulant en mer Rouge. Les forces américaines présentes dans la zone ont tué 10 rebelles lors d’une attaque avortée.