Le conflit sanglant en cours au Yémen, qui retient peu l'attention dans les médias occidentaux, se retrouve placé sous les projecteurs à la suite du bombardement survenu samedi dans la capitale.

L'attaque aérienne, qui a fait plus de 140 morts et 500 blessés à Sanaa, met du même coup sur la sellette l'administration américaine, qui se voit pressée de revenir sur son soutien à l'Arabie saoudite.

Riyad, qui tente depuis l'année dernière de repousser les rebelles houthis ayant chassé du pouvoir le président Abd Rabbo Mansour Hadi, a été averti dans la foulée du drame que la coopération sécuritaire des États-Unis ne représentait pas un « chèque en blanc ».

Jacqueline Lopour, analyste du Center for International Governance Innovation (CIGI), croit que la mise en garde américaine suggère que le bombardement pourrait servir de « catalyseur » et entraîner une révision substantielle de la politique américaine relativement au conflit yéménite.

Le régime saoudien a d'abord nié toute responsabilité dans l'attaque aérienne, qui a ciblé un centre communautaire connu où se déroulaient des obsèques. Il a ensuite annoncé son intention d'enquêter à ce sujet.

LA GOUTTE DE TROP ?

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a indiqué que les informations disponibles suggéraient que la coalition menée par l'Arabie saoudite était responsable de la frappe, décrite comme une « violation scandaleuse des lois humanitaires internationales ».

Un rapport diffusé au début de l'année a relevé que les deux camps engagés dans le conflit avaient attaqué des cibles civiles. Il recensait une centaine de frappes problématiques en ce qui concerne la coalition menée par l'Arabie saoudite.

Le bombardement survenu à Sanaa pourrait être la goutte qui fait déborder le vase pour l'administration américaine, note Mme Lopour.

Il survient quelques semaines après que le Sénat eut avalisé une importante vente de matériel militaire à Riyad. 

« Je ne suis pas certaine que le résultat du vote aurait été le même s'il avait eu lieu aujourd'hui. » - La chercheuse Jacqueline Lopour

Les exactions imputées à la coalition saoudienne ont fait monter la pression au cours des derniers mois sur d'autres pays comme la Grande-Bretagne et le Canada, qui sont aussi critiqués pour la vente de matériel militaire au régime saoudien.

Bruce Riedel, analyste de la Brookings Institution, est d'avis que le bombardement risque d'entraîner un changement majeur de la politique américaine au Yémen.

« Il s'agit d'un tournant. Le climat envers l'Arabie saoudite était déjà hostile aux Saoudiens en raison des attentats du 11 septembre 2001 et la guerre au Yémen augmentait l'intensité de la réaction. Maintenant, un crime de guerre pour lequel les États-Unis pourraient être tenus responsables a eu lieu », a-t-il indiqué dans un courriel.

UN CONFLIT DANS L'OMBRE

Le New York Times, dans un éditorial, a indiqué hier que le gouvernement américain avait le « devoir moral » de « cesser sa complicité » avec l'Arabie saoudite dans une « guerre civile qui a entraîné une catastrophe humaine dans l'un des pays les plus pauvres de la planète ».

Mme Lopour, du CIGI, espère que l'éditorial aidera la population américaine à prendre la mesure de l'importance du conflit yéménite, qui reçoit en général beaucoup moins d'attention que la situation en Irak et en Syrie.

La présence du groupe armé État islamique (EI) dans ces pays et le flux de réfugiés syriens tentant de se rendre en Europe contribuent à la différence de traitement, note Mme Lopour. La place occupée par les questions de politique interne en contexte électoral limite aussi l'attention envers le Yémen.

« Il est possible que l'on assiste à un véritable changement d'orientation seulement après l'élection présidentielle », conclut l'analyste du CIGI.

Photo Khaled Abdullah, Reuters

Un employé d'une morgue de Sanaa, au Yémen, procède à l'identification de l'une des 140 personnes tuées par le bombardement de samedi, en pleine cérémonie funéraire.

Photo Hussein Malla, Associated Press

Après le bombardement, le mouvement libanais Hezbollah a montré son appui au Yémen lors de nombreuses manifestations, dont celle-ci devant des bureaux des Nations unies à Beyrouth.