Cent jours après son arrivée au pouvoir, le nouveau président afghan Ashraf Ghani peine toujours à former son cabinet d'union nationale, une impasse qui mine pour la relance économique et nourrit l'insurrection islamiste.

Ancien cadre de la Banque mondiale, Ashraf Ghani avait été investi le 29 septembre après plusieurs semaines de blocage politique autour du deuxième tour de l'élection présidentielle du 14 juin, entachée de fraudes.

Le bras de fer entre M. Ghani et son rival Abdullah Abdullah avait provoqué de dangereuses tensions entre les partisans des deux camps, menaçant de raviver les antagonismes de la guerre civile afghane entre différentes factions et ethnies (1992-1994).

Les Pachtounes, principale ethnie du pays, soutenaient M. Ghani, tandis que les Tadjiks et les Hazaras s'étaient rangés derrière M. Abdullah. Après de longues négociations sous la houlette de l'ONU et de la diplomatie américaine, M. Ghani a finalement été désigné vainqueur, et s'est engagé à former un gouvernement d'union nationale avec son rival.

Or, au 100e jour de son arrivée au pouvoir, mardi, aucun ministre n'a encore été nommé, faute d'accord entre MM. Ghani et Abdullah.

Selon l'adjoint de M. Abdullah, Ahmad Khan, qui s'exprimait dimanche sur la chaîne afghane Tolo News, «les partisans des deux camps ont beaucoup de demandes pour les deux dirigeants, cela a provoqué un retard dans l'annonce (du gouvernement)».

«Nos prédictions concernant l'annonce d'un nouveau gouvernement ne se sont pas réalisées», a-t-il ajouté. En effet, l'objectif, fixé ces dernières semaines par les dirigeants afghans, était de former un nouveau gouvernement dans les 100 jours.

Mais dans l'entourage du président, on ne baisse pas les bras. Une source a assuré lundi à l'AFP qu'il y a eu «de gros progrès dans les discussions sur la formation d'un gouvernement, c'est presque finalisé, le cabinet sera probablement annoncé d'ici à la fin de la semaine».

Or, depuis son entrée en fonction, le président Ghani a plusieurs fois dépassé les échéances qu'il avait fixées pour la nomination de ses ministres.

«Impact sur la sécurité et l'économie»

Devant la critique, il avait écarté le 1er décembre les ministres de son prédécesseur Hamid Karzaï, annonçant que les vice-ministres feraient désormais l'intérim jusqu'à la nomination de nouveaux ministres.

Depuis son entrée en fonction, l'action du président Ghani semble entravée par l'absence d'accord sur les membres du gouvernement. Et certains postes de gouverneurs, qui doivent être pourvus, font débat entre les deux équipes.

Mais parmi les réalisations du nouveau président, figure notamment la signature d'un accord bilatéral de sécurité avec Washington (BSA), la réouverture d'une enquête sur l'énorme scandale financier de la Banque de Kaboul ou encore la simplification des affaires administratives au sein du gouvernement par la suppression d'un bureau jugé redondant.

Selon l'analyste politique afghan Mia Gul Waseeq, «le retard dans l'annonce du gouvernement a bien eu un impact sur la sécurité et l'économie de l'Afghanistan», qui s'est repliée en 2014, au moment où les investissements étrangers diminuent.

«Le retard a également encouragé l'ennemi (talibans, NDLR) à multiplier ses attaques récemment, et aussi cela mine la légitimité du gouvernement d'union nationale, car la sécurité s'est détériorée», a dit à l'AFP M. Waseeq.

Mais ce dernier a reconnu que les responsables afghans «prennent leur temps et veulent présenter un gouvernement professionnel», qui serait exempt de corruption, afin de donner des garanties à la communauté internationale.

Lundi, les membres de plusieurs organisations de la société civile se sont lancés dans une parodie de la situation en annonçant leur propre gouvernement.

«Il n'y a aucune nouvelle de la formation d'un gouvernement (...) et les Afghans sont fatigués de cela», a dit l'un d'entre eux, Hamdard Ghafoorey, lors d'un rassemblement lundi matin à Kaboul.

Même les talibans y sont allés de leur commentaire sarcastique. Dans un article sur leur site internet intitulé «Peut-être que le cabinet est gelé!», les insurgés se moquent de la situation en affirmant: «ils ont besoin de plus de temps, jusqu'à ce que le temps se réchauffe».

Face à la sécurité encore fragile et les attaques toujours vives des talibans, quelque 17 000 soldats étrangers, dont 12 500 de l'OTAN, seront présents en 2015 sur le sol afghan.