Le président afghan Hamid Karzaï a demandé lundi au Pakistan, historiquement proche des talibans afghans, de l'aider à établir un dialogue direct avec les insurgés pour mettre fin à 12 ans de guerre dans son pays.

Il s'agit de la première visite du président Karzaï depuis 18 mois chez son voisin pakistanais, avec lequel il entretient des rapports orageux. Kaboul accuse en effet régulièrement Islamabad de déstabiliser son pays en soutenant les rebelles talibans en lutte contre les fragiles forces nationales afghanes et leurs alliés de l'OTAN.

M. Karzaï tente cette fois-ci de convaincre Islamabad de faire pression sur les talibans, qui utilisent le Pakistan comme base arrière, pour discuter de paix directement avec lui.

L'Afghanistan souhaite que le Pakistan «soutienne le processus de paix afghan et offre des opportunités ou une plateforme pour des pourparlers entre le Haut conseil afghan pour la paix (HCP) et le mouvement taliban», a déclaré M. Karzaï lors d'un point de presse avec le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif, vainqueur des législatives de mai.

Le HCP est un organe gouvernemental créé par M. Karzaï pour de faire venir les talibans à la table des négociations. Plusieurs de ses membres accompagnaient le président afghan lundi à Islamabad.

«Le Pakistan va continuer de faciliter, par tous les moyens possibles, les efforts de la communauté internationale pour la réalisation de cet objectif noble... Nous pensons que cela est impératif pour mettre fin au conflit et à l'instabilité» dans la région, a répondu M. Sharif.

Ce dernier a aussi plaidé pour une plus grande interaction entre les économies des deux pays, qui veulent d'ailleurs développer des lignes de chemin de fer reliant respectivement les villes frontalières pakistanaises de Torkham et Chaman et à celles de Jalalabad et de Spin Boldak, en Afghanistan.

Les talibans afghans, au pouvoir à Kaboul de 1996 à 2001, ont fait preuve d'ouverture au cours des derniers mois sur des pourparlers de paix, et même affirmé qu'ils n'aspiraient plus à «monopoliser» le pouvoir après le retrait de la grande majorité des 87 000 soldats de l'OTAN prévu d'ici à la fin de l'année prochaine.

Mais les insurgés refusent de s'engager dans des pourparlers directs avec Hamid Karzaï, qu'ils accusent d'être une marionnette des États-Unis, de surcroît à l'approche de son départ à la tête de l'État, le président ne pouvant briguer, selon la Constitution, un troisième mandat lors de la présidentielle d'avril prochain.

Le HCP avait indiqué avant cette visite à Islamabad qu'il allait demander au Pakistan la libération du plus important taliban afghan écroué dans les geôles pakistanaises, le mollah Abdul Ghani Baradar, ex-bras droit du mollah Omar, le chef suprême des talibans.

Car si Islamabad est historiquement proche des talibans, elle est aussi, depuis 2001, officiellement alliée à leurs puissants ennemis américains, et a à ce titre arrêté de nombreux rebelles afghans réfugiés sur son territoire.

À la demande de Kaboul, le Pakistan a déjà libéré 26 talibans afghans. Les responsables afghans estiment que ces libérations permettent de montrer leur bonne volonté aux insurgés et espèrent que ces ex-détenus convaincront la direction des talibans de se joindre aux pourparlers de paix.

Mais de nombreux analystes jugent que ces libérations n'ont aucun impact sur le processus de réconciliation afghan, car des talibans libérés seraient retournés sur le terrain de combat et qu'Islamabad n'a pas rendu leur liberté aux prisonniers considérés comme les plus influents, tel le mollah Baradar.

Une timide amorce de processus de paix avait capoté en juin dernier après l'ouverture d'un bureau des talibans afghans à Doha, au Qatar, une vitrine qui a ulcéré au plus haut point le président Karzaï.

Karzaï «veut son propre canal de communication avec les insurgés, qui soit indépendant des États-Unis», estime Borhan Osman, membre du Réseau des Analystes d'Afghanistan. «Les tentatives de se tourner vers le Pakistan ne sont pas nouvelles, mais des initiatives similaires avaient échoué par le passé», ajoute-t-il.

Le grand quotidien pakistanais Dawn n'a pronostiqué lundi aucune avancée dans les discussions, car le contexte n'est pas favorable avec la fin du mandat de Karzaï, l'arrivée d'un nouveau gouvernement à Islamabad, qui doit encore établir ses marques avec l'Afghanistan, et le changement, cet automne, du chef de l'armée pakistanaise, l'institution la plus puissante du pays.

«Espérez le mieux, mais préparez-vous au statu quo», résumait le journal.