La tension monte au pays du Cèdre. L'imminence du dépôt d'accusations par le Tribunal spécial sur le Liban, piloté par le procureur québécois Daniel Bellemare, contre les assassins présumés du premier ministre Rafic Hariri met toute la classe politique sur les dents. Qui sera visé par ces accusations? Qui sera livré par les autorités libanaises? Pendant que courent les rumeurs, le pays recevra mercredi un visiteur controversé: le président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Le point sur la crise.

Q : Le Tribunal spécial sur le Liban (TSL) enquête depuis décembre 2005 sur les circonstances de l'assassinat du premier ministre Rafic Hariri, en février 2005. Quand les actes d'accusation seront-ils enfin déposés?

R : Vraisemblablement d'ici la fin de l'année, a indiqué en septembre le procureur du tribunal, le Québécois Daniel Bellemare, établi à La Haye aux Pays-Bas. Et à mesure que l'échéance approche, la tension monte. L'organisation chiite Hezbollah a récemment demandé au gouvernement libanais de retirer son appui au tribunal. Le Hezbollah a déclaré au cours de l'été s'attendre à ce que certains de ses membres soient visés par les accusations et a qualifié l'institution, qui relève de l'ONU, de «tribunal israélien».

Q : Le Hezbollah a-t-il raison de croire que ses membres seront inculpés?

R : «Jusqu'à présent, l'implication du Hezbollah n'est qu'une rumeur», dit le professeur Fady Fadel, de l'Université Antonine de Beyrouth, de passage la semaine dernière à l'Université de Sherbrooke. «On est en train de fonder tout un scénario à partir de rumeurs - il n'y a aucune information officielle du procureur Bellemare et du TSL qui puisse indiquer que des membres du Hezbollah sont impliqués.» Qui fait courir ces rumeurs, et dans quel but? demande M. Fadel. Lors des tribunaux spéciaux sur la Yougoslavie et le Rwanda, souligne-t-il, le même genre de rumeurs ont couru avant l'émission des actes d'accusation «pour tester l'environnement politique».

Q : Y a-t-il des craintes, dans la population, que la situation puisse dégénérer?

R : «C'est assez tendu», confirme le professeur Fadel. Mais il croit que les affrontements violents sont à exclure pour l'instant, notamment à cause d'une volonté régionale d'assurer la paix au Liban. Les communautés sont toutefois divisées quant à la mission du tribunal. «Des musulmans chiites écoutent les discours du Hezbollah et voient dans le tribunal un instrument de politique internationale qui veut déstabiliser leur parti», dit M. Fadel. «De l'autre côté, les musulmans sunnites, les plus concernés par le TSL parce que Rafic Hariri était un leader sunnite, y voient un instrument de justice pour mettre fin à l'impunité. Et entre les deux, il y a des chrétiens favorables à la justice internationale, et d'autres qui sympathisent avec le Hezbollah.» Est-ce que le gouvernement libanais saura arrêter les personnes visées par l'acte d'accusation et les transférer à La Haye? «C'est la grande question.»

Q : Le 3 octobre, la Syrie a lancé 33 mandats d'arrestation contre des personnalités politiques libanaises et étrangères, dont des proches de l'actuel premier ministre libanais Saïd Hariri. Les relations entre les deux pays pourraient-elles en souffrir?

R : Pas nécessairement, croit M. Fadel. Les mandats d'arrêt découlent d'une plainte de l'ancien chef de la sûreté générale libanaise, Jamil Sayyed, emprisonné pendant plus de trois ans au Liban sans que des accusations ne soient retenues contre lui. M. Jayyed accuse certaines personnalités libanaises, syriennes et étrangères d'avoir livré de «faux témoignages» et, après s'être adressé en vain à la justice libanaise pour obtenir réparation, s'est tourné vers la justice syrienne. Les relations entre la Syrie et le Liban se sont nettement améliorées depuis la nomination de Saïd Hariri comme premier ministre libanais. Les mandats d'arrêt «pourraient freiner la dynamique entre M. Hariri et le président syrien Bachar el-Assad», indique M. Fadel. «Mais vu que les rapports entre la Syrie et l'Arabie Saoudite, garants de la stabilité au Liban, sont maintenus, les rapports devraient être préservés.»