Abdul Habib raccroche après avoir une nouvelle fois rassuré son épouse. «Elle est très inquiète», dit-il en entrant dans la boutique de tapis d'un ami à Rawalpindi, l'une des villes du Pakistan les plus touchées par les attentats, aux portes d'Islamabad.

Ces brefs coups de téléphone sont devenus compulsifs chez de nombreux Pakistanais. «La Nation entière est en état de choc», commente Naïma Hassan, une psychologue spécialisée dans l'aide aux victimes d'attentats.

Depuis un peu plus d'un mois, chaque semaine est ponctuée par deux ou trois attaques au minimum, dont certaines dévastatrices, comme celle du 2 novembre, non loin de l'échoppe de l'ami d'Abdul Habib, quand un kamikaze a tué 35 personnes qui faisaient la queue devant une banque.

Rawalpindi, la principale ville-garnison du pays, ainsi que Peshawar, la grande capitale du nord-ouest, non loin des zones tribales qui abritent des groupes de talibans et combattants d'Al-Qaeda, sont les villes les plus touchées.

Le 28 octobre, une bombe a tué 118 personnes sur un marché de Peshawar, fréquenté essentiellement par des femmes et leurs enfants.

Même ces derniers ne sont plus à l'abri et les écoles d'Islamabad et de Rawalpindi ferment régulièrement leurs portes, à la demande des autorités, sur la base de renseignements alarmants.

Non loin de la boutique de tapis, Junaïd Anwar Baig rassure aussi son épouse. «Elle m'appelle deux ou trois fois par jour et elle me dit +Sois prudent, ne circule pas trop+», explique cet homme de 52 ans qui tient une échoppe d'artisanat.

«Le problème c'est que l'on ne peut pas arrêter» les kamikazes, estime, un peu plus loin, Habib, 57 ans, ajoutant: «Cela peut arriver n'importe où, n'importe quand, tout le monde est perturbé».

La population, souligne Naïma Hassan, est envahie par un sentiment d'impuissance. «Ils ont le sentiment qu'il n'y a rien à faire face au terrorisme», dit la psychologue, pour qui cette vague de violence, sans précédent dans ce pays musulman de 167 millions d'habitants, se traduit par des «souffrances extrêmes».

Au total, plus de 2.400 personnes ont perdu la vie dans tout le pays depuis l'été 2007, dans plus de 300 attentats perpétrés, pour la majorité, par des kamikazes du Mouvement des Talibans du Pakistan (TTP), allié à Al-Qaeda.

«Leur bien-être mental est en jeu et les Pakistanais sont en train de perdre en qualité de vie», avance Mme Hassan en parlant de psychose et d'anxiété chronique chez nombre de ses patients.

Pour M. Baig, les attentats ont scindé la population en deux groupes. «Ceux qui sont terriblement déprimés et ceux qui sont résolus à combattre» les talibans. Dans tous les cas, les attentats accaparent les esprits.

«Quand je sors de chez moi, je me prépare à mourir», confie Muhammad Idress, 29 ans, qui dirige un petit dispensaire en contreplaqué à Rawalpindi.

Son attitude est typique, explique Mme Hassan. «Ils pensent en permanence que la mort les guette et sont extrêmement préoccupés par l'avenir de leurs enfants».

Naseem Akhtar, 29 ans, travaille dans ce dispensaire mais dit que sa famille l'a convaincue de rentrer au village. «J'ai si peur que je ne veux plus envoyer mes enfants à l'école», souffle la jeune femme.

Rawalpindi, comme Islamabad, sont, depuis des mois, transformées en camps retranchés parcourus de check-points de la police et de l'armée, où chaque conducteur bloqué parfois de longues minutes se demande si la voiture que les policiers fouillent devant lui n'est pas conduite par un kamikaze.