Il y a quelques jours, un jeune journaliste afghan qui, pour des raisons de sécurité, travaille dans l'anonymat, s'est rendu dans un village de la région d'Herat, une grande ville de l'ouest du pays.

Accompagné d'un guide armé, il a roulé pendant 70 km sur des routes poussiéreuses. En chemin, il n'a pas vu l'ombre d'une affiche électorale. Aucun signe, non plus, de quelque surveillance policière que ce soit.

 

Une fois au village, le journaliste s'est rendu dans une mosquée remplie d'hommes vêtus comme des talibans, et de quelques mollahs coiffés d'un turban blanc. «Il y avait des armes partout», relate-t-il dans son article publié cette semaine sur le site de l'Institute of War and Peace Reporting, une organisation spécialisée dans les reportages en zone de conflit.

Après les prières, un des mollahs s'est lancé dans un prêche. «Quiconque participe aux élections se couvre de honte devant Allah et son prophète», a-t-il averti.

Depuis le début de la campagne électorale, pas moins de 200 séances semblables de propagande anti-électorale ont eu lieu dans la seule région d'Herat! Ces élections sont une imposture, ceux qui y participent se livrent à un acte criminel et s'exposent à des représailles, menacent les mollahs.

Et ils réussissent à faire peur.

Lors des dernières élections, en octobre 2004, les insurgés avaient aussi appelé leurs compatriotes à boycotter le scrutin. Mais à l'époque, leur influence était limitée à quelques fiefs. Cette fois, exception faite des plus grandes villes, ils font sentir leur présence pratiquement partout.

«Beaucoup de gens craignent d'aller voter», constate Jean MacKenzie, la patronne de notre jeune journaliste d'Herat. Elle explique que ce qui augmente les réticences des électeurs, c'est que pour voter, ils devront tremper un doigt dans une encre qui ne s'effacera pas avant plusieurs jours. La trace de leur «acte criminel» risque de leur coller à la peau, les rendant facilement repérables.

Si, au moins, les électeurs croyaient que ça vaut la peine de s'exposer ainsi. Mais c'est de moins en moins le cas.

Journaliste américaine, Jean MacKenzie est arrivée à Kaboul une semaine après les élections de 2004. «À l'époque, il y avait de l'euphorie dans l'air, les gens espéraient construire leur pays et étaient prêts à risquer leur vie.»

Cinq ans plus tard, c'est la désillusion. «Les gens ont le sentiment que les élections sont jouées d'avance. Et ils n'ont pas envie de risquer leur vie pour ça.»

C'est aussi ce que constate le caméraman franco-afghan Karim Amin, qui vient de rentrer à Kaboul après un séjour dans la région de Kunduz, dans le nord-est de l'Afghanistan. «La population est très sceptique. Son sentiment le plus fort, c'est la peur», dit-il.

Et il y a de quoi. Pas loin d'une dizaine de personnes - candidats ou travailleurs d'élections - ont été assassinées durant le seul mois de juillet, un des plus sanglants depuis la chute des talibans. C'est sans compter les enlèvements, menaces de mort et tentatives d'assassinats infructueuses reliées aux élections.

Résultat: dans une partie importante du pays, les candidats hésitent à faire campagne, les logisticiens n'arrivent pas à organiser le scrutin, et les électeurs risquent de ne pas pouvoir se rendre aux urnes, résume un rapport de la Commission afghane indépendante des droits humains, publié cette semaine.

L'insécurité est telle qu'exception faite des grandes villes, les élections afghanes relèvent d'une parodie de la démocratie. Des électeurs n'iront pas voter, dans des bureaux qui seront peut-être fermés, pour des candidats qui n'ont même pas osé faire campagne dans leur patelin!

À quoi donc sert cette farce électorale? Les talibans sont en voie de gagner la guerre, a dit la semaine dernière nul autre que le commandant des troupes américaines, le général Stanley McChrystal. Et le scrutin du 20 août est le terrain d'une bataille politique cruciale.

Plus les insurgés réussissent à faire peur aux gens, plus ils empêchent les gens de voter, plus ils ébrèchent la légitimité du prochain président - et plus ils renforcent leur position.