«Si les étrangers quittaient le pays, ce serait Mad Max en moins de 24 heures... Mais s'ils restent, on s'enfonce aussi en enfer, car plus personne ne contrôle rien», ironise Qasim, un policier municipal de 35 ans, sur le seuil de sa porte dans le quartier de Shar-i-Naw.

Cette attitude désabusée témoigne de l'embarras d'une population qui ne croit plus en l'indépendance d'un scrutin : au final, c'est le président sortant Hamid Karzaï qui restera au pouvoir.

À quelques jours de l'élection présidentielle, la seconde depuis la «libération» de 2001, les violences se multiplient et bon nombre de bureaux de vote n'ouvriront pas. Ce qui ne semble gêner personne. «Que voulez-vous, reprend Qasim, ici, rien ne marche comme chez vous, il faut cesser de tout comparer. Iront voter ceux qui en ont le courage, ou qui y croient encore. Les autres sont indifférents, la vie est trop dure...»

En 2004, un Pachtoune totalement inconnu d'une tribu influente du Sud dont la famille avait fait fortune dans une chaîne de restauration aux États-Unis est élu chef de l'État afghan. Aujourd'hui, même critiqué et affaibli, Hamid Karzaï est en passe d'être réélu, tant les ressources gouvernementales et les moyens d'influence à tous les échelons de la pyramide étatique, dont il a usé et abusé en campagne, sont imparables.

Seuls deux candidats pourraient le forcer à un second tour : Ashraf Ghani, ministre des Finances de 2002 à 2004, et Abdullah Abdullah, ancien ministre des Affaires étrangères.

Atmosphère de terreur

«Afin de rester au pouvoir, notre président a conclu de trop dangereuses alliances», note, également désabusé, Hafiz, un boulanger hazara de 32 ans de Kaboul, qui n'est pas rentré dans sa région du Wardak (des montagnes à 50 km au sud de la capitale) depuis deux ans par peur des talibans qui la dominent.

«Nous, on rêve d'autre chose: on voudrait un pays tranquille, dans lequel on peut se déplacer sans peur, où les règles ancestrales prévaudraient, et non pas cet incompréhensible chaos!»

C'est que le peuple voit revenir, d'un mauvais oeil, d'anciens chefs de guerre réputés violents et corrompus sur le «ticket» présidentiel d'Hamid Karzaï. Comme le maréchal Fahim, déjà vice-président.

Quant à la hausse constante du degré d'insécurité, l'activité croissante des «talibans» et autres groupes mafieux ainsi que la faiblesse de l'influence gouvernementale contribuent à faire de ce scrutin une «bombe à retardement».

Il faut dire qu'en cinq ans, Hamid Karzaï n'a pas montré le bon exemple : son frère cadet, Ahmed Wali Karzaï, qu'il a contribué à faire nommer chef du conseil provincial de Kandahar, la seconde ville du pays, ex-lieu de résidence du mollah Omar toujours en fuite, est régulièrement accusé d'implications dans les juteux trafics de drogue de la région.

Depuis des mois, les hommes d'affaires kandaharis se plaignent d'escroqueries permanentes orchestrées par ses hommes. Selon eux, l'atmosphère de terreur aurait atteint le niveau de celle de l'époque des talibans, pourtant officiellement détrônés en 2001.

Comme en Iran?

À quelques jours du vote, «ce n'est pas d'élections dont il s'agit, mais bien d'un marché aux bestiaux», ajoute, cynique, un observateur de la scène politique afghane, conseiller d'un des candidats.

«On négocie le prix des lots de bovins, voilà tout.» Selon lui, des négociations iraient bon train autour du meilleur candidat, à la seule condition que soit prise en compte pour les autres une compensation financière de 200 000 à 500 000 $US ! «Le mien a reçu ce qu'il voulait, il s'est retiré...»

Dans le cas où les résultats du 20 août (qui ne seront pas connus immédiatement) annonceraient le président Hamid Karzaï gagnant, le mécontentement de la population pourrait-il se muer en émeutes, voire en journées d'insurrection comme en Iran, le grand voisin souvent cité en exemple positif par les Afghans?

Beaucoup le craignent, même si rien n'est moins sûr, étant donné le piètre état de la société civile huit ans après la «libération».

«Pour descendre dans la rue, note Nader Naderi, membre de la Commission indépendante afghane des droits de l'homme, il faut avoir de l'argent de côté pour voir venir... Or, ici, les gens se battent au quotidien pour leur survie : une majorité de la population ne vit qu'avec 1$ par jour! Pas assez pour se permettre le luxe d'aller manifester...»

- Anne Nivat est une journaliste indépendante réputée qui sillonne la région depuis 2001. Elle est l'auteure d'une récente bande dessinée intitulée Correspondante de guerre.