Pendant que le marché automobile s'effondre dans le monde, les concessionnaires de Bagdad se frottent les mains: après des années de frustration, les Irakiens se passionnent pour les voitures neuves.

Des BMW, des Nissan, des Hyundai et même des Hummer de style militaire se faufilent désormais entre les épaves ambulantes et les charrettes à ânes qui circulaient dans les rues de la capitale pendant deux décennies de sanctions et de guerre. Cela fait sans doute de Bagdad une des rares villes du monde où l'industrie automobile se porte relativement bien, en tout cas par rapport aux pires moments de la guerre, pendant lesquels les ventes stagnaient. Avec son système bancaire limité, l'Irak a pratiquement été épargné par la crise financière internationale.

Et contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays du monde, les prix de l'essence ne sont guère dissuasifs pour ces Irakiens désireux de vivre à cent à l'heure au volant d'un bolide flambant neuf.

Il n'y a pas si longtemps, il était dangereux de rouler à Bagdad dans une nouvelle voiture. Les «carjacking» (détournements) étaient relativement fréquents, que ce soit par des miliciens envieux ou par des ravisseurs cherchant des victimes suffisamment riches pour verser de grosses rançons.

Ces jours noirs ne sont pas totalement finis. Mais la violence déclinant, les Irakiens qui peuvent se le permettre souhaitent désormais s'offrir une voiture. «Malgré le prix élevé, conduire une nouvelle voiture me donne beaucoup de satisfaction et une sensation de bien-être», explique Muhannad Khazim, qui vient d'acheter une Hyundai Elantra.

Les autorités locales refusent de dire combien de nouvelles voitures ont été immatriculées pendant l'année écoulée. Mais de nouveaux concessionnaires ouvrent leurs portes dans des quartiers relativement sûrs de la périphérie de Bagdad pour répondre à la demande grandissante. Ils proposent toute une gamme de modèles, d'élégantes voitures de sport à de gros 4X4, la plupart importés d'Amman, en Jordanie, ou de Dubaï, dans les Emirats arabes unis.

Imad Hassan explique que les ventes, dans sa concession d'Aqaba (est de Bagdad), ont augmenté de 90% en 2008 par rapport à l'année précédente, pendant laquelle les combats dans la ville étaient à leur apogée. L'an dernier, il a vendu environ trois voitures par jour. Depuis le début de l'année, il n'en vend plus que trois par semaine, une baisse soudaine qui, selon lui, n'a pas grand-chose à voir avec la crise mondiale.

Il espère que les ventes vont reprendre, le gouvernement irakien ayant finalement approuvé un nouveau budget, après qu'une baisse des prix du pétrole a nécessité de le revoir à plusieurs reprises. Beaucoup de clients de voitures de luxe sont des hommes d'affaires irakiens ayant des contrats avec le gouvernement. Ils devaient attendre le vote du nouveau budget pour toucher leur argent, dit-il.

Les prix de l'essence au Moyen-Orient sont moins élevés qu'aux Etats-Unis et en Europe de l'Ouest. L'Irak a levé les subventions sur le carburant en 2004 et a multiplié par 19 le prix de l'essence. Mais depuis, les prix à la pompe sont restés stables. Ce sont les risques au niveau de la sécurité -et non les prix de l'essence ou la volonté de faire des économies- qui ont tenu les automobilistes à l'écart des routes.

Hassan Saleh, qui vend des 4X4 japonais et sud-coréens ainsi que des Hummer de fabrication américaine dans une autre concession de l'est de Bagdad, attribue le boom à l'amélioration de la sécurité, qui a redonné suffisamment confiance aux Irakiens pour s'offrir des voitures luxueuses. «Aujourd'hui, la plupart des gens n'ont pas peur de conduire de nouvelles voitures. Il y a deux ans, on courait un gros risque d'être enlevé contre une rançon», estime-t-il.

Pas totalement rassuré pour autant, Ali Habib, homme d'affaires, prend ses précautions: «Quand je vais quelque part à Bagdad, je m'assure d'avoir au moins trois amis avec moi dans la voiture par protection contre les bandits