Juchés sur un blindé de l'Otan, des talibans chantent, d'autres tirent au ciel: une journée presque ordinaire dans la zone tribale pakistanaise d'Orakzai, où le chef Hakimullah jure qu'il ne se rendra jamais tant qu'Islamabad ou Washington ne le laisseront pas tranquille.

Il faut une bonne journée de route épique au coeur des montagnes pour parvenir au repaire d'Hakimullah, escorté par des insurgés, impassibles à l'arrière des camions malgré le vent glacial.

Les armes sont cachées sous des draps, pas les idées. Leurs radios hurlent des chants populaires jihadistes aux titres peu équivoques: «Je vais faire un attentat suicide», «Je décapiterai un espion», «Je tuerai des infidèles»...

A partir de l'après-midi, on ne voit plus aucun policier ou soldat à l'horizon. Juste des rebelles bardés de kalachnikov et de lance-roquettes.

Au bout de la route se tient Hakimullah, le chef des talibans dans les trois zones tribales pakistanaises de Khyber, Kurram et Orakzai, et allié d'Al-Qaïda face aux troupes occidentales.

Cheveux longs et barbe courte, le chef d'une trentaine d'années apparaît calme, en chemise traditionnelle et kalachikov à l'épaule, entouré d'une cinquantaine de ses hommes, armés et masqués.

D'entrée de jeu, il ne laisse guère de place au doute sur l'état d'esprit de ses troupes, disséminées dans les incontrôlables montagnes de la frontière afghano-pakistanaise, où elles sont attaquées à la fois côté afghan par l'armée américaine et la force de l'Otan (Isaf), et côté pakistanais par l'armée nationale, pressée d'agir contre le terrorisme par ses alliés américains.

«Nous avons tué près d'une dizaine d'espions qui travaillaient pour les Etats-Unis et pour nos ennemis, et nous continuerons», promet-il. «Et nous ne déposerons pas les armes tant que l'armée pakistanaise ne cessera pas ses opérations contre nous».

Ancien porte-parole du mouvement rebelle hors-la-loi du Tehreek-i-Taliban Pakistan (Mouvement des Talibans du Pakistan, TTP), Hakimullah a gravi l'échelle du commandement pour devenir l'un des adjoints du chef du mouvement, Baitullah Mehsud, accusé d'avoir planifié l'assassinat de l'ancien Premier ministre pakistanaise Benazir Bhutto.

Sa fastidieuse conférence de presse de cinq heures vise à démontrer une chose: que son mouvement et ses affiliés tiennent les zones tribales d'une main de fer.

Interrogé sur la présence d'Oussama ben Laden ou d'autres chefs d'Al-Qaïda dans la région, Hakimullah élude: «C'est une région pauvre. Qu'est-ce qu'un chef d'Al-Qaïda viendrait faire ici?». Tout en précisant que lorsque des étrangers arrivent, «il est de notre responsabilité de bien les recevoir».

Il avertit également Islamabad qu'il intensifiera ses attaques si le Pakistan continue de laisser les Etats-Unis bombarder les zones tribales pakistanaises, bien que sa zone à lui n'ait pas été visée par la vingtaine de frappes américaines de ces derniers mois.

Il rassure également sur l'état de santé de Baitullah Mehsud, très malade selon certaines sources talibanes. Mehsud ne souffre que d'une léger diabète, s'est même marié il y a quelques semaines, assure-t-il.

«D'ailleurs je veux organiser une fête en votre honneur pour célébrer son mariage», conclut-il.

Passé le traditionnel déjeuner de riz et d'agneau, une surprise attend les invités journalistes: un véhicule blindé ravi aux forces de l'Otan.

L'un des combattants démarre le trésor de guerre, puis passe le volant à Hakimullah, qui le conduit alors que plusieurs de ses hommes, juchés sur le toit, hurlent leurs slogans: «Allah est grand! Notre combat continue!»

La fête continue avec un concours de tir sur cibles à la roquette ou à la kalachnikov, auquel les journalistes sont conviés. Et qui s'achève sur un avion volant à basse altitude soupçonné d'être un appareil espion américain, qui essuie les tirs de quelque 60 combattants, mais s'enfuit indemne.

«Ils tirent souvent sur des avions qui passent, même s'ils n'en ont jamais abattu aucun», explique un taliban. «Ca leur remonte le moral».