Après quatre années passées à réaliser son doctorat en physique à l'Université McGill, la perspective de propulser sa carrière en allant serrer la main des plus grands experts du monde à la conférence de la Société américaine de physique en Louisiane, en mars, emballait Hossein Azizi.

«Pour moi, cette conférence était comme la lumière au bout du tunnel», dit-il.

Ashwaq Al-Hashedi, dentiste qui termine un postdoctorat à l'Université McGill, voulait quant à elle se rendre à San Francisco le mois prochain pour participer à la conférence de l'Association internationale pour la recherche dentaire. «Nous voulons commercialiser un nouveau matériau. Cette conférence est la plus grande du genre au monde.»

Majid Soleimani, stagiaire postdoctoral au département de génie biomédical de l'Université McGill, avait prévu d'aller à Baltimore, lui aussi pour assister à une conférence importante dans son domaine.

Pour ces chercheurs montréalais, toutefois, aller aux États-Unis est désormais un rêve inatteignable.

«Depuis le décret de Trump, mes chances d'obtenir un visa sont nulles», explique M. Azizi, un citoyen iranien arrivé à Montréal en 2012, et qui a envoyé son formulaire de demande pour un visa de séjour aux États-Unis le mois dernier. Il dit être certain que sa demande restera lettre morte.

Majid Soleimani a reçu récemment son passeport iranien par la poste, renvoyé par le consulat des États-Unis. Sa demande de visa n'avait pas été traitée.

La situation de ces chercheurs de McGill est loin d'être unique : à l'Université Concordia, le décret controversé, notamment critiqué aux États-Unis par une centaine de multinationales, dont Apple, Google, Facebook et Microsoft, a déjà un impact sur les activités des chercheurs, signale la porte-parole Christine Mota.

«Ça affecte des gens au doctorat, au postdoctorat et les professeurs, des postes où il y a beaucoup de déplacements internationaux. C'est immense comme conséquences», affirme Mme Mota. 

«Si on vous demande de présenter vos travaux à une conférence internationale et que vous ne pouvez pas y aller, c'est sérieux. Ça peut avoir un impact négatif sur votre future carrière», ajoute-t-elle.

«Beaucoup de confusion»

La recherche scientifique et le marché scientifique aux États-Unis sont les plus actifs du monde : pas moins de 15 des 20 plus grandes universités de la planète se trouvent sur le sol américain, selon le classement 2017 de l'éditeur britannique Times Higher Education.

La semaine dernière, les présidents de plusieurs universités, dont Harvard, Princeton et Yale, ont dit être «alarmés» par le décret du président Trump. Près de 1 million d'étudiants étrangers étudient actuellement sur le sol américain, selon le département d'État, un record.

Ashwaq Al-Hashedi possède un visa pour séjourner aux États-Unis, qui expirera sous peu. Comme elle est citoyenne du Yémen, elle s'attend à ne pas pouvoir entrer aux États-Unis : plusieurs citoyens du Yémen se sont fait refuser l'entrée au pays depuis une semaine - incluant des personnes qui avaient la citoyenneté américaine, ce qui a provoqué une manifestation importante de la communauté yéménite américaine à New York.

Dimanche, une décision d'un tribunal américain a eu pour effet de rouvrir la frontière aux détenteurs d'un visa valide.

Critiquée de toutes parts, l'administration Trump a affirmé lundi que la mesure relevait entièrement de «l'autorité du président» et a dénoncé l'interprétation «très excessive» du juge fédéral qui en a bloqué l'application.

«Il y a beaucoup de confusion. J'attends toujours avant d'envoyer mon passeport. J'espère que la situation va se clarifier bientôt», affirme Mme Al-Hashedi.

Au Canada, le gouvernement Trudeau a dit avoir reçu l'assurance que le décret de Trump ne s'applique pas aux citoyens canadiens qui posséderaient également un passeport des sept pays visés. Toutefois, bien des chercheurs des plus grandes universités du pays n'ont pas la nationalité canadienne, et ne sont donc pas protégés par cette entente.

Pas de frontières en science

Pour un citoyen iranien, voyager aux États-Unis a toujours été difficile, dit Hossein Azizi, une situation avec laquelle il avait appris à vivre.

«Mais ce décret, c'est différent. Pour la première fois, je ressens de la discrimination. En sciences, nous n'avons pas de frontières. Là, on vient d'en ériger une», dit-il, ajoutant que d'autres chercheurs qui avaient prévu poursuivre leurs études aux États-Unis vivent des moments plus difficiles encore. «Mon problème n'est rien lorsqu'on le compare avec le leur.»

Majid Soleimani est du même avis. «Des familles ne peuvent pas être réunies à cause de ce décret.»

Pour Ashwaq Al-Hashedi, le décret est injuste, car il touche l'ensemble des citoyens des pays visés. «Aucune personne du Yémen n'a été impliquée dans une attaque terroriste aux États-Unis, alors je ne comprends pas pourquoi nous sommes visés. Personnellement, j'essaie d'avancer ma carrière, et là, je suis bloquée. Même si je voulais aller ailleurs dans le monde, bien des vols font une escale aux États-Unis.»

L'an dernier, elle a fait une demande de citoyenneté canadienne. C'est ici que la spécialiste aimerait faire carrière.

«C'est ce à quoi je rêve aujourd'hui», dit-elle.

- Avec l'Agence France-Presse

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PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Ashwaq Al-Hashedi

Décret sur l'immigration

Vendredi 27 janvier : Signature du décret qui empêche les citoyens d'Irak, d'Iran, de Syrie, du Yémen, de Libye, du Soudan et de Somalie d'entrer aux États-Unis pour 90 jours. 

Dimanche 29 janvier : Le chaos provoqué par le décret force l'administration Trump a préciser que les résidents légaux des États-Unis qui sont originaires des pays visés seront acceptés.

Lundi 30 janvier : Plus d'une douzaine de poursuites sont intentées dans le but d'invalider le décret.

Vendredi 3 février : Un juge suspend temporairement l'application du décret sur l'ensemble du territoire américain.

Samedi 4 février : Le département de la Justice tente de faire infirmer la décision de ce juge en la portant en appel.

Dimanche 5 février : Le département de la Justice est débouté en appel.

REUTERS

Donald Trump signant le décret controversé le 27 janvier.